Plus de 1 500 pots d’échappement ronronnent sur la route de Vannes, à Saint-Herblain (Loire-Atlantique). «Nos véhicules font du bruit pour qu’on nous entende sur la route, car la majorité des accidents sont causés par les automobilistes, pas par des défaillances techniques de nos bécanes», lâche Isabelle au milieu du convoi de deux roues venu protester ce samedi 13 avril contre la mise en place du contrôle technique pour les véhicules de catégorie «L» (motos, scooters, quads…). Des mobilisations étaient organisées à travers toute la France, et ont rassemblé 10 000 personnes à Paris selon les organisateurs. Décrétée obligatoire le 24 octobre dernier, la mesure sera effective ce lundi 15 avril. A partir de cette date, les deux roues, trois roues et quadricycles motorisés auront - en fonction de leur immatriculation - jusqu’au 14 août pour se faire contrôler.
Une main posée sur sa moto, la quadragénaire soupire : «Le gouvernement ferait mieux d’investir dans l’entretien des routes, elles se dégradent depuis des années. On a beau respecter les limitations, les trous qu’on ne voit pas, ça, c’est dangereux.» Pour cette gestionnaire de planification, en plus d’être inutiles, ces contrôles techniques dont le coût variera entre 50 et 75 euros «seront juste des frais supplémentaires pour les ménages déjà impactés par l’inflation».
«On nous fait croire que c’est pour des raisons de sécurité routière»
Sur le bas-côté, Denis Chimbault, coordinateur départemental de la Fédération française des motards en colère (FFMC), fait les cent pas. «On nous fait croire que c’est pour des raisons de sécurité routière alors que l’état des deux roues n’est en cause que dans 0,3 % des accidents selon le rapport MAIDS», une étude sur les accidents des deux roues, s’agite celui qui circule à moto depuis près de trente ans. Le Nazairien qui appelle au boycott des centres de contrôle n’en démord pas : «Ceux qui trafiquent leurs véhicules sont une minorité.»
Décryptage
A quelques mètres, le soleil fait briller une carrosserie bleu indigo floquée BMW. Yves, son propriétaire, se tient fièrement à côté. Sa première «bécane», il l’a eue à 16 ans. Alors pour le sexagénaire, la moto est synonyme de voyage et de liberté. «On a tous le rêve de partir où on veut quand on veut quand on est jeune, on a l’impression qu’on est tout le temps fliqué alors qu’on n’a pas envie de mourir, mais juste de prendre du plaisir», dit celui qui assure «aimer la vie plus que tout». Pour la préserver, le rituel du connaisseur est rodé : avant chaque voyage, il s’impose un tour du véhicule pour être certain de circuler en sécurité.
Sa passion ne lui a pas offert qu’un sentiment de liberté, mais aussi des amitiés solides. «Je connais le grand Hervé depuis plus longtemps que ma femme», sourit-il en pointant son compagnon de route, la voix couverte par des bruits de moteurs. Hervé aussi est venu protester contre la mise en place du contrôle technique. Aujourd’hui à la retraite, ces anciens mécaniciens et importateurs réparateurs se sont rencontrés il y a quarante ans grâce à leur métier respectif, proches de la mécanique. «Chaque motard est un peu mécano, alors décret ou pas, je n’irai pas faire mon contrôle technique, abonde le septuagénaire. Ce n’est pas un type avec une formation de 35 heures qui va m’apprendre à m’occuper de ma moto quand ça fait 45 ans que je l’entretiens.»
Au milieu du convoi, Freddy assure faire partie de la majorité des motards faisant réviser son deux-roues chez un garagiste chaque année alors que le décret du gouvernement impose un contrôle tous les trois ans. «On bichonne nos motos, ce sont des objets que l’on peut payer plus de 40 000 euros. On se sent infantilisés alors que c’est notre vie qui est en jeu et on le sait», regrette le quadragénaire qui compte malgré tout se plier à la nouvelle réglementation pour éviter l’amende fixée à 135 euros. Alors que le convoi s’apprête à rejoindre le périphérique, Jean, gilet rouge flashy floqué FFMC, sécurise le bas-côté. Quand il n’est pas sur son «engin», le quinquagénaire sensibilise les collégiens aux dangers de la route. Casque vissé sur la tête, il martèle : «A 1 an j’ai marché, à 4 ans j’ai fait du vélo et à 16 ans j’ai fait de la moto. C’est parce qu’on est prudents que je suis encore vivant pour en parler.»