Alors que les agriculteurs poursuivent leurs actions de colère pour obtenir des «mesures concrètes» de la part du gouvernement, une femme et sa fille de 12 ans sont mortes, tandis que le père de famille a été gravement blessé, lors d’une action de blocage en Ariège, mardi 23 janvier à l’aube. Une voiture a percuté le barrage installé depuis lundi en milieu d’après-midi par les agriculteurs, fauchant ces trois personnes avant d’aller s’encastrer sous une remorque agricole. Selon les premiers éléments de l’enquête, il s’agirait d’un accident.
Que s’est-il passé ?
Une voiture a percuté le barrage des agriculteurs de la RN 20, à Pamiers, en Ariège, a annoncé mardi matin sur le plateau de RMC Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA, le principal syndicat agricole. «Trois de nos adhérents ont subi un grave accident», a-t-il expliqué, parlant d’un «accident de la route». «Une femme est décédée, son mari et sa fille sont dans un état compliqué», expliquait-il en début de matinée.
Aux alentours de midi, le parquet de Foix avait indiqué que l’adolescente de 12 ans avait succombé à ses blessures à l’hôpital. L’information a été démentie dans la foulée par cette même source, expliquant avoir communiqué son décès sur la foi d’une «information erronée». «Après vérifications auprès des services de soins, le parquet est en mesure d’affirmer que la jeune fille hospitalisée […] n’est pas décédée au moment où ces lignes sont écrites. Son état reste critique et les soins se poursuivent», a indiqué le parquet de Foix à Libération.
Dans la soirée, le procureur de la République a finalement annoncé que l’adolescente, née le 25 septembre 2011, était «décédée des suites de ses blessures peu après 19 heures», précisant que l’information était «confirmée par les services de l’hôpital Purpan de Toulouse».
Mercredi, le parquet de Foix a annoncé que le pronostic vital du père n’était «plus engagé», bien qu’il reste «grièvement blessé». «Dès que son état de santé le permettra, il sera examiné par un médecin légiste en vue de déterminer une incapacité de travail.»
Qui sont les victimes ?
Une agricultrice d’une trentaine d’années, adhérente à la FNSEA, et sa fille de 12 ans, adhérente chez les Jeunes agriculteurs (JA), ont été tuées dans l’accident. Le père, âgé d’une quarantaine d’années, est toujours hospitalisé.
La mère était éleveuse de vaches limousines et productrice de maïs dans le village de Saint-Felix-de-Tournegat, à quelques kilomètres de Pamiers. Elle était aussi élue au conseil municipal de sa commune, affirme un ami de la victime sur BFMTV. «[Elle] était une personne vraie, impliquée dans énormément de choses, très passionnée par la chasse», a confié Jérôme Bayle, éleveur et figure de la mobilisation sur un autre barrage agricole qui bloque l’A64 Toulouse-Bayonne depuis jeudi soir. «Je lance un appel au gouvernement : il faut ouvrir les yeux et accélérer les choses, a-t-il ajouté. Même si ce mouvement avance, une famille sera à jamais décimée.»
Où en est l’enquête ?
L’enquête judiciaire, confiée au commissariat de Pamiers, a été ouverte en flagrance des chefs d’homicide involontaire aggravé et de blessures aggravées. Contacté par Libération, le parquet de Foix indique qu’«un véhicule automobile, arrivant de Toulouse et se dirigeant vers l’Andorre, avec à son bord un couple et une de leurs amies, tous trois de nationalité étrangère, ont emprunté la route nationale 20, malgré le dispositif mis en place pour en interdire l’accès».
La voiture aurait alors «percuté, en pleine nuit, et sans éclairage public à proximité» un mur de bottes de paille érigé sur toute la hauteur jusqu’au pont. Ceci «alors que ce mur de paille était recouvert d’une grande bâche noire». «Or, précise le communiqué du parquet, était installé derrière ce mur de paille un grand barnum, où des manifestants se restauraient. Le véhicule a alors percuté trois personnes, avant de finir sa course contre la remorque d’un tracteur.» Ainsi, la piste de l’accident est privilégiée.
Pendant leurs premières auditions, les occupants du véhicule à l’origine de l’accident, «qui résident à Pamiers», ont confirmé auprès des enquêteurs «avoir voulu se rendre chez une de leurs connaissances, habitant également en Ariège». «Le conducteur a reconnu avoir contourné le dispositif spécial de sécurité qui condamnait l’accès à la route nationale 20, précise le procureur de la République de Foix, Olivier Mouysset. [Le conducteur] a précisé ne pas s’être rendu compte à temps de la présence de la bâche noire qui recouvrait le mur de paille.»
Mobilisation
Par ailleurs, les tests de dépistage réalisés en matière d’alcoolémie et de stupéfiants sur le conducteur, âgé de 44 ans et inconnu des services de justice, se sont révélés négatifs.
Le procureur de Foix a précisé mercredi que «les trois occupants du véhicule en cause sont de nationalité arménienne et concernés par des obligations de quitter le territoire français (OQTF) prononcées en 2022 et 2023». «Ces mesures ont fait l’objet de différents recours de la part des intéressés.»
«A l’issue de son interrogatoire de première comparution», le conducteur a été mis en examen «des chefs d’homicides involontaires aggravés, de blessures aggravées et de conduite sans assurance», a déclaré mercredi soir le procureur de Foix dans un communiqué. Aucune charge n’a été retenue contre les deux passagères du véhicule à l’issue de leur garde à vue. Comme elles étaient sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), elles ont été placées dans un centre de rétention administrative, selon la même source.
Quelles sont les réactions ?
«Dans le moment particulier que vit l’agriculture, ce genre de drame est difficile à vivre», a encore déclaré Arnaud Rousseau, en appelant «tout le monde au calme et à la raison et à faire en sorte que cette colère s’exprime dans le respect des biens et des personnes». «Si cette famille était sur ce barrage, c’est qu’il y a un mal-être», a aussi insisté Luc Smessaert, vice-président de la FNSEA, sur BFMTV. «Ça ne donne que du sens et des valeurs à notre combat», a-t-il poursuivi, déplorant «un drame».
De son côté, la présidente de région Occitanie, Carole Delga, a réagi à cet accident sur ses réseaux sociaux : «Ce drame choquant ajoute à la détresse des agriculteurs. Mes pensées et mes condoléances aux proches, aux familles et aux agriculteurs ariégeois. Il appartient à la justice de faire son travail». Quant au ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, qui doit se rendre sur place dans la journée, il a assuré sur X «pense [r] à elle» : «Je pense à son conjoint et à sa fille qui luttent encore pour leur vie. C’est un drame pour nous tous. J’adresse mes condoléances très émues à sa famille et à ses collègues de l’Ariège».
De même, le Premier ministre, Gabriel Attal, a affirmé que la nation était «bouleversée et solidaire». «Au nom du Gouvernement, je veux dire ma peine et adresser mon plein soutien à la famille et aux proches des victimes. Être agriculteur, c’est travailler sans relâche. C’est travailler pour nous, pour les Français. Nous sommes et resterons à leur côté.» Le président de la République, Emmanuel Macron, a également réagi. «Le drame de Pamiers nous bouleverse tous. Je pense avec émotion aux victimes et à leurs proches endeuillés», a écrit le chef de l’Etat, ajoutant avoir «demandé au gouvernement d’être pleinement mobilisé pour apporter des solutions concrètes aux difficultés».
Le drame de Pamiers nous bouleverse tous. Je pense avec émotion aux victimes et à leurs proches endeuillés.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) January 23, 2024
«Mes premières pensées vont à la famille de ces victimes qui se trouve brutalement plongée dans la douleur. En ces temps difficiles où les agriculteurs se mobilisent pour la défense de leur métier, je tiens à leur apporter tout mon soutien», a également tenu à faire savoir la présidente du conseil départemental de l’Ariège Christine Téqui.
Les agriculteurs, eux, ont décidé de lever le barrage. «Les Jeunes Agriculteurs et la FDSEA de l’Ariège lèvent le blocage de la N20. Les Jeunes Agriculteurs et la FDSEA de l’Ariège témoignent tout leur soutien aux proches et à la famille des victimes», écrivent les manifestants dans un communiqué. «Ce drame vient souligner la nécessite qu’on a d’être parfaitement organisés, de faire en sorte de respecter des consignes de sécurité, parce que ce qui est important pour nous c’est de faire passer nos messages», a commenté le patron de la FNSEA. A l’Assemblée nationale, le patron des députés communistes André Chassaigne a demandé une minute de silence ce mardi après-midi en hommage à l’agricultrice tuée.
Mise à jour : jeudi 25 janvier à 9h28, avec l’ajout de la mise en examen du conducteur.