En Nouvelle-Calédonie, un peu plus d’une semaine après le début des émeutes, de nombreux commerces alimentaires arrivent au bout de leurs stocks dans l’agglomération du Grand-Nouméa. Jérémie Katidjo Monnier, ministre du gouvernement de Nouvelle-Calédonie chargé de la Sécurité alimentaire, alerte sur la nécessité de protéger les convois de ravitaillement.
Sur le plan alimentaire, quelle est la situation aujourd’hui en Nouvelle-Calédonie ?
Tendue. Certains magasins sont en rupture d’approvisionnement. Sur la moitié sud de Nouméa, les magasins ont été rouverts et réapprovisionnés. Vendredi 17 mai, il y avait environ cinq heures d’attente pour pouvoir faire ses courses, soumises à rationnement. Je voudrais d’ailleurs saluer l’incroyable civisme et la solidarité dont font preuve les Calédoniens face à la situation. En revanche, les quartiers du nord de Nouméa – Ducos, Rivière-Salée – restent isolés. Dumbéa, la deuxième ville de Nouvelle-Calédonie avec 35 000 habitants, est celle qui subit le plus d’émeutes. C’est aussi celle qui accueille les deux plus grands hypermarchés de l’île principale. L’un d’eux a été pillé et partiellement brûlé, l’autre est dans une zone hors de contrôle des forces de l’ordre. Les conditions de sécurité ne sont pas réunies pour que l’on puisse les approvisionner par le circuit habituel.
Existe-t-il un risque de pénurie ?
En termes de stocks, il n’y a pas de pénurie alimentaire en Nouvelle-Calédonie. Ce qui est d’habitude notre faiblesse, c’est-à-dire l’éloignement, est aujourd’hui notre force. Toutes les grandes enseignes bénéficient de stocks de deux mois. Il y a quatre zones de stockage de denrées alimentaires et elles sont toutes situées dans le Grand-Nouméa. Il n’y en a qu’une seule accessible, soit seulement un quart du stock total. Et près de la moitié des stocks sont dans des zones inaccessibles à cause des émeutes. Ces stocks ne sont pas sécurisés et on ne peut pas les écouler puisque les convois alimentaires ne le sont pas non plus.
Sur les provinces des îles [au nombre de trois en Nouvelle-Calédonie, ndlr], il n’y a pas de problème d’approvisionnement puisque le port autonome de Nouvelle-Calédonie est toujours opérationnel. Sur les provinces nord, étant donné que les routes sont bloquées, on a mis en place un pont maritime pour pouvoir approvisionner les magasins sur ces territoires. Quelques ravitaillements au Nord se font par les moyens de l’armée, mais c’est assez ponctuel et insuffisant par rapport aux besoins de la population. On a débarqué une centaine de conteneurs dimanche. Le double doit arriver jeudi.
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La situation n’est pas encore critique mais sensible sur l’ensemble de la Grande Terre. Nous manquons cruellement de moyens de sécurisation. Dès qu’un barrage est levé, il est très vite réinstallé et les camions d’approvisionnement alimentaire n’ont pas le temps de s’organiser pour passer. Quand nous faisons appel à l’Etat pour sécuriser ces convois, nous n’avons pas réellement de moyens mis à disposition. On craint qu’il y ait des émeutes de la faim, en plus des émeutes politiques. Certains commerçants ont ouvert sous la pression des habitants qui n’avaient plus rien à manger et leur ont dit : «Si vous n’ouvrez pas, vous serez pillés et brûlés comme les autres.»
Comment appréhendez-vous les prochains jours ?
Aucun acteur privé n’accepte de prendre le risque de s’aventurer dans les zones les plus sensibles. Même nous, en tant que gouvernement, nous craignons que nos convois alimentaires soient bloqués sur la route. Par exemple, le barrage sur la route principale a été débloqué lundi mais il est déjà de nouveau partiellement sur pied, assez pour bloquer la circulation.
Pour la fin de la semaine, l’urgence est d’approvisionner la commune de Païta, au nord de Dumbéa, dont les commerces seront en rupture de stock alimentaires dès ce mercredi. Nous sommes également très inquiets pour les habitants de Dumbéa, pris dans les émeutes. Certains habitants n’ont pas bougé depuis dix jours. Les émeutiers sont en bas de chez eux. Cela fait également dix jours qu’il n’y a pas eu de collecte des déchets. Il existe un risque de pollution mais aussi un risque sanitaire dans certains quartiers très défavorisés, avec des systèmes d’assainissement défaillants, pour lesquels la collecte des ordures est primordiale pour éviter le développement de maladies comme la leptospirose. Nous manquons cruellement de moyens pour sécuriser la vie quotidienne des Calédoniens. C’est là que réside la véritable inquiétude.