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Libération
Reportage

«On est plus pauvres que d’habitude» : les JO de Paris 2024, une épreuve pour les livreurs à vélo

JO Paris 2024dossier
Moins de commandes, trajets déviés, policiers à chaque coin de rue… Paris pendant les Jeux est devenu un vrai parcours du combattant pour les coursiers des plateformes telles qu’Uber Eats et Deliveroo. De quoi désespérer ceux qui continuent de livrer pendant l’été.
L'été 2024 est une vraie période creuse pour un grand nombre de livreurs à vélo, accentuée par les Jeux olympiques de Paris 2024. (Victor Joly/ABACA)
par Camille Sciauvaud
publié le 7 août 2024 à 18h44

«Rien. Pas de commande. Tous les Parisiens se sont barrés.» C’est le bilan de cet été olympique pour un grand nombre de livreurs à vélo. A Bastille, les coursiers font des allers-retours entre les fast-foods sous un soleil de plomb dans l’espoir de recevoir la tant attendue notification d’une commande. La place, habituellement fréquentée par les livreurs à l’heure du déjeuner, est presque déserte avec les Jeux olympiques. «Je bosse depuis ce matin, il est 12 h 30 et je n’ai eu qu’une livraison pour l’instant», soupire Meron, qui traîne son énorme glacière vide depuis des heures. Le départ des Parisiens, qui ont fui l’arrivée massive de touristes, a fait baisser drastiquement son chiffre d’affaires. «Si je gagne 20 euros dans la journée c’est déjà bien, alors que d’habitude je me fais environ 40 euros par jour», s’agace le livreur en vérifiant une énième fois son application Uber Eats.

L’été est toujours une période creuse pour les livreurs. Les Parisiens profitent de la douceur des températures pour troquer leur application de livraison contre les terrasses au soleil. «Mais avec les JO, on avait anticipé et espéré une augmentation des commandes, surtout de la part des touristes, et en fait pas du tout», regrette Circé Liénart, coordinatrice de la Maison des coursiers à Paris.

La double peine pour les travailleurs sans-papiers

Parmi ces livreurs à vélo, beaucoup sont en situation irrégulière. A la Maison des coursiers, lieu d’accueil et de soutien des livreurs, les travailleurs sans papiers représentent 70 % du public accueilli. Sans titre de séjour valide ni autorisation de travail, ils sont contraints de louer illégalement le profil d’un autre utilisateur. En échange, ils versent une partie de leur revenu au véritable propriétaire du compte, une somme qui peut aller de 100 à 250 euros par semaine en période de forte demande.

Utsa, qui utilise le profil Deliveroo d’un tiers, admet à demi-mot avoir du mal à finir le mois. «Avec les Jeux olympiques, on est encore plus pauvres que d’habitude», raconte ce livreur sans papier du Bangladesh. En France depuis un an, il ne peut prétendre à un contrat de travail classique à cause de sa situation irrégulière et s’est donc lancé dans la livraison. Les yeux rivés sur son téléphone dans l’attente d’une course, il s’est assis à l’ombre, son vélo bon marché à côté de lui. «Les commandes sont moins nombreuses, je gagne un peu plus de 50 euros par jour, contre 80 d’habitude», explique le jeune homme de 27 ans. Pourtant ce n’est pas faute d’essayer. Il s’est placé près de la place de la République bordée de restaurants adeptes des plateformes de livraison telles que Deliveroo.

«Voir autant de policiers ça fait toujours un peu peur»

Pour les chanceux à qui l’application propose enfin une course, il y a toujours le casse-tête de la circulation dans Paris. «Certaines zones doivent être contournées car on ne peut pas y passer, la police bloque avec des barrières», déplore Hannen, coursier pour Uber Eats. Les JO ont donc accentué «les galères de livraison», assure de son côté Circé Liénart : «Vu que les applications ne le font pas, c’est à nous de prévenir les livreurs qu’ils n’aillent pas à tel endroit car il y a une épreuve ce jour-là», soupire la coordinatrice.

Les milliers d’agents des forces de l’ordre déployés dans la capitale pour quadriller ces zones ont d’ailleurs suscité la crainte chez certains travailleurs sans papiers. «On a des livreurs qui se sont fait contrôler par des agents étrangers et, même s’ils les ont laissés repartir, les contrôles policiers peuvent aller jusqu’à l’OQTF», explique Circé Liénart. Alors, pour éviter tout risque, certains ont préféré jouer la carte de la prudence. «J’ai des collègues qui sont partis travailler en banlieue, en Seine-Saint-Denis, dans le Val-de-Marne…» explique Meron. En face de lui, une quinzaine de voitures de police stationnent. Pas de quoi l’importuner, lui qui est là en toute légalité grâce à son statut de réfugié. «Et puis j’ai l’impression qu’il n’y a pas beaucoup de contrôles, ils nous laissent tranquilles», souligne le livreur érythréen.

Même bilan pour Imam, travailleur en situation irrégulière pour la plateforme Uber Eats. «Je ne me suis pas fait contrôler une seule fois, et c’est normal, je ne commets aucun crime, je travaille juste», se rassure le jeune Bangladais. Juste à côté de gendarmes qui patrouillent, il s’est lui aussi installé à Bastille, dans l’attente que son téléphone lui affiche une commande. «Après, c’est sûr que voir autant de policiers ça fait toujours un peu peur car je n’ai aucune permission d’être en France», conclut le livreur.