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Feux

«On insulte ma mère en la traitant d’inconsciente» : la fille de Stella T., la victime de l’incendie de l’Aude, affirme qu’elle n’a pas refusé d’évacuer sa maison

Alors que le maire de Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse avait soutenu que son administrée n’avait pas souhaité quitter son domicile face aux flammes, la fille témoigne du contraire. «Libération» a interrogé différents protagonistes, qui décrivent une évacuation dans la confusion.
Le 7 août, près de Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse (Aude). (AP)
publié le 8 août 2025 à 15h59

C’est pour l’heure le seul décès dû à l’incendie qui a dévasté 17 000 hectares dans l’Aude : Stella T., 65 ans, est morte à Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse, dans la maison qu’elle occupait seule, et qui a été avalée par les flammes. Mais que s’est-il passé exactement ? Interrogé par BFM mercredi 6 août au matin, Xavier de Volontat, le maire du village, explique que cette habitante a été avertie du danger la veille mardi, entre 17 h 30 et 18 heures, par des gendarmes et un conseiller municipal chargés de «faire le tour» des habitations de deux quartiers «qui étaient sous la menace des flammes». «Cette dame n’a pas voulu malheureusement sortir de sa maison en disant “je ne risque rien”», affirme l’élu, qui assure que «tous les moyens» ont été mis en œuvre «pour que tout se passe le mieux possible», mais qu’«elle a fait un autre choix».

Mais aujourd’hui, la fille de la victime conteste cette version. «J’ai eu une première fois ma mère au téléphone mardi vers 18 heures, témoigne auprès de Libération Lydie, 25 ans, psychologue à Montpellier, qui s’est déjà exprimée auprès de M6. Elle était en panique car le feu arrivait dans son jardin. Elle m’a montré les flammes avec son portable. Je lui ai dit qu’il fallait qu’elle quitte la maison. A aucun moment elle ne m’a dit que le maire, les gendarmes ou les pompiers étaient venus la chercher pour qu’elle s’en aille. Si quelqu’un était passé la voir, elle me l’aurait dit.»

«Je lui ai dit que je l’aimais»

Lydie contacte ensuite très vite les pompiers en composant le 18 : «Ils m’ont répondu qu’ils prenaient note de la présence de ma mère chez elle, mais qu’il fallait qu’elle reste confinée dans sa maison, que c’était plus prudent.» Lydie rappelle alors sa mère et lui conseille de s’enfermer dans sa salle de bain. Puis elle recontacte les pompiers. «Ils m’ont dit qu’ils envoyaient très rapidement quelqu’un chez elle», reconstitue-t-elle.

La jeune femme téléphone à nouveau à sa mère pour la rassurer, mais la situation devient très alarmante : «Elle m’a répondu qu’elle commençait à se sentir mal, que le salon était en feu, que la véranda avait explosé, et qu’elle avait du mal à respirer, poursuit Lydie. Tout est allé très vite, elle s’est retrouvée bloquée chez elle, paniquée. Les pompiers m’ont ensuite rappelée en m’assurant que des collègues à eux arrivaient sur place. J’ai à nouveau rappelé ma mère pour lui dire, et elle m’a répondu qu’il fallait qu’ils se dépêchent. Je lui ai dit que je l’aimais, elle m’a dit qu’elle m’aimait aussi…» Il était, selon Lydie, environ 19 heures. Sa mère, par la suite, ne répondra plus.

Entre 19 heures et 2 heures du matin, la jeune femme contacte le numéro d’urgence diffusé en ligne par la préfecture de l’Aude pour tenter de localiser sa mère et d’obtenir des informations sur sa situation. «J’ai aussi appelé les urgences des hôpitaux les plus proches, ainsi qu’un voisin de ma mère et les pompiers de Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse. Ces derniers m’ont dit qu’ils envoyaient quelqu’un chez elle. Personne ne savait où elle était. Puis à 2 heures du matin, le mercredi, les pompiers m’ont informée qu’elle ne se trouvait pas dans sa maison. Et trois heures plus tard, à 5 heures, la police est venue à mon domicile, à Montpellier, pour m’annoncer son décès, sans plus de détails.» Le communiqué de presse de la préfecture de l’Aude annonçant le décès d’une personne dans l’incendie date de 5 h 30.

«On a fait notre boulot»

Lydie, effondrée depuis cette annonce, tente de comprendre ce qu’il s’est réellement passé. «Tout ce que l’on sait, c’est que ma mère a été retrouvée morte chez elle, mais je ne sais pas à quel moment ni dans quel état.» A son désespoir s’ajoute désormais la colère : «On raconte partout dans les médias que ma mère avait refusé de partir de sa maison mais c’est complètement faux ! On a même dit qu’elle était restée chez elle à cause de son chien mais elle n’avait pas de chien ! On insulte même ma mère sur les réseaux sociaux en la qualifiant d’inconsciente… C’est atroce.»

L’agacement de Xavier de Volontat, le maire de Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse, face à ce qu’il qualifie de «buzz», est palpable. Il a, dit-il, «autre chose à faire» que répondre à cette polémique. «On a fait notre boulot», nous fait-il savoir quand Libération l’a interrogé ce vendredi 8 août au matin. Xavier de Volontat assure que des gendarmes et des représentants de la mairie se sont bien rendus dans le quartier de Stella pour inviter les habitants à évacuer, et ajoute avoir la «certitude que le Centre opérationnel départemental d’incendie et de secours a appelé trois fois» la sexagénaire pour l’inciter à quitter son domicile «entre 17, 18 ou 19 heures». Des éléments que Libération n’a pas pu confirmer auprès des pompiers.

Une voisine directe de Stella, en vacances dans le village avec sa famille, témoigne : «Quand on a vu arriver le feu, on est partis tous seuls. Il était 18 h 10 et personne n’était encore passé pour nous dire d’évacuer.» Deux autres témoins, résidant dans le même quartier, confirment : ils ont quitté les lieux entre 18 heures et 18 h 15, de leur propre initiative, sans avoir vu au préalable de conseiller municipal ou de gendarmes. «Les pompiers étaient juste à l’angle de la rue et tous les voisins sortaient en criant d’évacuer, racontent Michaël et Laura, un couple de trentenaires. On a parlé aux pompiers par la suite et ils nous ont dit qu’eux aussi avaient été pris de court.»

«Chacun sera entendu»

Sollicitée par Libération, la préfecture de l’Aude indique que «le parquet a ouvert une enquête qui déterminera les causes du décès». Le parquet de Carcassonne, quant à lui, ne souhaite faire aucun commentaire. Le capitaine Jean-Philippe Sanchez, commandant en second de la compagnie de gendarmerie de Narbonne, précise pour sa part qu’une enquête judiciaire «pour découverte de cadavre» a été confiée à la brigade de recherches de Carcassonne. «Cette enquête précisera les conditions d’intervention de gendarmes ou de pompiers dans le quartier de la victime lors de l’évacuation, et pourquoi cette dame est décédée chez elle. Il est trop tôt pour le dire. Chacun sera entendu lorsque la situation sera redevenue calme.» Tous les appels de secours étant enregistrés, la réécoute devrait permettre d’établir ce qu’il s’est réellement passé ce soir-là.