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Bidonvilles

Opération Wuambushu à Mayotte : «On va détruire toute ma vie, on casse ma maison, mes biens, on casse tout»

La démolition de logements a commencé ce lundi 22 mai sur l’île française de l’océan Indien. Si les autorités promettent que des solutions d’hébergement sont sur la table‚ les associations parlent d’une opération «brutale» et «anti-pauvres».
Au sein du bidonville Talus 2, où les démolitions de logements ont commencé ce lundi 22 mai. (Philippe Lopez/AFP)
publié le 22 mai 2023 à 18h40

Près d’un mois après le faux départ de l’opération sécuritaire Wuambushu («reprise», en mahorais), les pelleteuses et engins de démolition ont commencé leur travail ce lundi à Mayotte, île française située dans l’océan Indien. Au petit matin, ils ont fait leur entrée dans le quartier de Majicavo, sur le territoire de la commune de Koungou, pour mettre à terre les cases en tôles de Talus 2, l’un des plus importants bidonvilles du 101e département de France, le plus jeune et le plus pauvre. Son démantèlement était initialement prévu le 25 avril, mais avait été suspendu par le tribunal judiciaire de Mamoudzou, au motif que la démolition du bidonville, où vit une centaine de familles, mettrait «en péril la sécurité» des autres habitants, dont les logements seraient fragilisés. Une décision finalement infirmée en appel le 17 mai. Depuis, les jours de Talus 2 étaient comptés.

Aux environs de 7 h 30 locales, des gendarmes équipés de pieds de biche et de masses sont entrés dans les habitations pour vérifier que personne ne s’y trouvait, comme ont pu le constater des journalistes de l’AFP. Puis les pelleteuses ont commencé à détruire le bidonville, fracassant les murs en dur et écrasant la tôle dans un bruit métallique sourd. Les derniers habitants, eux, avaient évacué les lieux à l’aube, en emportant certains de leurs effets personnels, voire des matériaux de construction, tôle, planches de bois, etc.

«Pour l’instant, je n’ai pas de logement»

Fatima Youssouf, l’une des doyennes du quartier, a attendu le dernier moment pour quitter sa maison, dans laquelle elle a «investi toutes [ses] économies», raconte-t-elle à l’AFP. Dans la précipitation, elle n’a pas pu enlever toutes ses affaires. «Pour l’instant, je n’ai pas de logement, confie la femme de 55 ans. Je dors dans mon restaurant, avec ma famille.» La veille, cette femme originaire des Comores, arrivée par voie légale et cumulant deux jobs pour vivre, se montrait dépitée : «Là on va détruire toute ma vie. On casse ma maison, mes biens. On casse tout. Il vaut mieux que j’enlève tout.» Et de s’interroger : «Le préfet dit qu’il va nous donner des maisons pour trois mois, six mois. Et les enfants, après, ils font quoi ?»

L’intéressé, Thierry Suquet, assure que «la moitié des familles qui vivaient dans ce quartier ont été relogées». Ses services ont dénombré «162 cases à démolir» sur place, une opération qui «devrait durer toute la semaine», selon Psylvia Dewas, chargée de la résorption de l’habitat illégal à la préfecture de Mayotte. Lundi, environ 200 personnes dont 150 gendarmes étaient mobilisées pour l’occasion, tandis que les opérations se déroulaient sans troubles. Plus de 500 policiers et gendarmes de métropole sont arrivés depuis courant avril pour mener à bien l’opération Wuambushu, qui vise à réduire l’habitat insalubre, lutter contre la délinquance et expulser les migrants en situation irrégulière, pour la plupart venus de l’archipel des Comores voisines.

Opération «brutale» et «anti-pauvres»

Le préfet défend une politique «équilibrée» qui, selon lui, permettra «aux Français qui vivent dans ces conditions-là et aux étrangers en situation régulière» d’avoir «un hébergement adapté». Même tonalité chez les élus et de nombreux habitants mahorais, ainsi que du côté de la Place Beauvau où le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, s’est félicité dans un tweet de la reprise des démantèlements : «Le volontarisme politique paye : nous continuons la destruction des bidonvilles, dans lesquels habitaient de nombreuses familles dans des conditions indignes, en proposant des relogements.» Au contraire, Wuambushu est dénoncée comme «brutale», «anti-pauvres» et violant les droits des migrants par certaines associations.

Talus 2 n’est que la première étape d’un processus qui doit durer encore plusieurs mois. Au total, les autorités prévoient de détruire un millier de logements insalubres à Mayotte, dans une quinzaine de périmètres. Selon le préfet, sur les logements identifiés pour être démolis, «300 ont déjà fait l’objet d’enquêtes sociales». Les personnes en situation régulière se verront proposer «une solution de relogement au fur et à mesure» mais, a-t-il prévenu, «le principe de démolition n’est jamais remis en question, même si les familles refusent les propositions».

Les associations craignent aussi que Wuambushu ne mette en danger les droits des personnes migrantes. Sur les 350 000 habitants estimés de Mayotte, la moitié n’a pas la nationalité française. Beaucoup sont originaires des Comores voisines, et en situation irrégulière. Un bras de fer a opposé Paris et Moroni, entraînant la suspension de la liaison maritime entre Mayotte et la proche île comorienne d’Anjouan pendant près de trois semaines. Mais les expulsions de sans-papiers comoriens ont pu reprendre mercredi à la faveur du redémarrage des rotations. Le rythme, certes soutenu, reste cependant dérisoire, alors que des milliers de Comoriens tentent chaque année la traversée depuis leur pays, distant de 70 kilomètres, à bord des kwassas kwassas.