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Documentaire

Pédocriminalité : «Dans l’ombre», récit de la traque d’un prédateur par un youtubeur

Dans son documentaire diffusé sur YouTube, le vidéaste Ludoc retrace l’enquête minutieuse qu’il a mené pour identifier, localiser et livrer à la police un pédocriminel, ensuite condamné par la justice.
Extrait du documentaire «Dans l’ombre» du youtubeur et réalisateur Ludovic, alias «Ludoc». (DR)
par Axelle Debaene
publié le 29 décembre 2024 à 11h56

Quand un «sa va (sic)» d’un parfait inconnu mène à une condamnation pour exhibition sexuelle, harcèlement sexuel et corruption de mineur. C’est l’histoire du youtubeur et réalisateur Ludovic, alias «Ludoc». Dans son documentaire Dans l’ombre diffusé sur YouTube depuis le 18 décembre, il y raconte sa traque d’un pédocriminel pendant quatre ans. Une vidéo d’une heure qui cumule déjà 1,8 million de visionnages et qui alerte ses jeunes abonnés sur les dangers des prédateurs sexuels sur Internet.

Juin 2014. Ludovic, 26 ans à l’époque, reçoit une demande d’abonnement sur Skype. Un certain Pascal, 58 ans, lui demande d’emblée son âge. Le vidéaste se fait passer pour un garçon de 14 ans. Il réalise alors, par la tournure que prend la conversation, qu’il échange avec un prédateur. Avec des membres de son collectif de youtubeurs Studio Bagel, il décide de le traquer grâce à Internet. «Je suis un enfant du Web, ça aide. A mes débuts, je postais des vidéos sur des forums que je codais moi-même, bien avant YouTube», explique-t-il.

Le vidéaste enquête en sources ouvertes – Oosint, pour «Open Source Intelligence» – pour tenter d’identifier le prédateur. Une technique de renseignement qui se fonde sur la collecte d’informations publiques que l’on peut consulter en toute légalité. Lorsque son interlocuteur ouvre sa webcam pour se filmer en train de se masturber, Ludovic en profite pour identifier les éléments à l’image. L’emplacement d’un arbre, la position des rayons du soleil, un parasol qui dépasse du jardin… Il retrouve son identité, son domicile, enregistre toutes leurs conversations et transmet ces éléments à la brigade des mineurs en 2014, imaginant l’affaire bouclée. Première désillusion. Il attendra quatre ans avant qu’un policier lui annonce l’arrestation de Pascal en 2018. Pour lui, l’enquête a été beaucoup trop longue : «L’année de mon signalement, une victime a déposé plainte, deux ans plus tard, une seconde s’est manifestée. S’il avait été arrêté plus tôt, la seconde victime aurait pu être évitée.»

«Manuels pour prédateurs»

A travers un narratif et des mises en scène, Ludovic s’attaque à un sujet que l’on voit peu sur la plateforme. «Ça crée des obstacles. Pour éviter la censure de YouTube, j’ai dû supprimer certains passages.» La vidéo est aussi démonétisée, «parce que les marques ne veulent pas s’associer à un sujet comme la pédophilie». A l’aide d’avocats, de policiers, de journalistes et d’autres experts, il dévoile les mécanismes d’emprise des pédocriminels. On y découvre, entre autres, l’existence de «manuels pour prédateurs» disponibles sur le Dark Web. «C’était la partie la plus difficile à monter, raconte Ludovic. Ces pratiques absolument abjectes sont mises en scène sur des sites colorés, enfantins, avec des jolis mots qui romancent les actes. Le plus dur, c’est de voir qu’ils se motivent entre eux.» Un musée des horreurs gratuit et libre d’accès.

Pascal, le prédateur, est jugé en 2018 pour exhibition sexuelle, harcèlement sexuel et corruption de mineur. Au moment du jugement, deuxième désillusion pour le réalisateur : l’homme est condamné à un suivi sociojudiciaire de trois ans et doit verser 500 euros à l’une des deux victimes s’étant portée partie civile. «Je ne veux pas que ceux qui me regardent se disent que j’ai fait tout ce travail pour rien, dit le YouTubeur. Tout au long de la vidéo, j’explique qu’il ne faut pas se faire justice soi-même, mais la décision du tribunal ne m’aide pas.»

Au-delà du récit de son expérience, Ludovic profite de ce documentaire pour faire de la prévention. Il rappelle notamment qu’il existe des plateformes pour signaler ce type d’infractions, comme le site e-enfance ou le numéro 3018, dédié aux jeunes victimes de harcèlement et de violences numériques. «Je ne suis personne, juste un mec qui raconte des histoires. Je ne vais pas changer le système. Je veux montrer que ces choses existent.» En essayant de «donner les clés pour se protéger» car, comme le rappelle une intervenante du film, «là où il y a des enfants, il y a des prédateurs».