«Depuis plusieurs mois ici, il n’y a plus de droit à la défense. Les sanctions tombent chaque jour sans que les personnes détenues ne soient correctement soutenues par un conseil.» Ce témoignage, recueilli par la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP), est celui de F., détenu au centre pénitentiaire du Craquelin à Châteauroux, dans l’Indre. Il se fait l’écho de plaintes de codétenus, qui se voient participer à des commissions de discipline sans l’assistance d’un avocat, pourtant obligatoire, depuis le mois de novembre 2020.
C’est le Conseil de l’ordre des avocats du barreau de Châteauroux, dont Marie-Laure Briziou-Henneron est la bâtonnière, qui a pris la décision de ne plus envoyer d’avocat dans ce centre. «J’ai appris un peu par hasard au moment du deuxième confinement que plus aucun magistrat de ne se rendait dans cet établissement, relate-t-elle. C’est le procureur qui m’a informée de l’existence de cas de Covid-19 au sein de l’administration pénitentiaire.» Etonnée de ne pas avoir été prévenue plus tôt, elle se rend compte que le procureur de la République n’avait pas non plus été mis au courant de ces cas par la direction de l’établissement. «Ils se sont excusés plus tard, mais cet incident a créé un climat de suspicion», regrette l’avocate.
«Regard extérieur et respect de la procédure»
Depuis, plus aucun avocat ne se rend dans les commissions de discipline pour des raisons sanitaires. «Elles se déroulent dans une toute petite pièce dans laquelle la défense est séparée de l’administration par du plexiglas, mais pas des détenus, ce qui ne garantit pas le respect des gestes barrières», se plaint Me Briziou-Henneron. Deux solutions ont été proposées à l’établissement : des commissions par visioconférence ou le déplacement vers une salle plus grande, utilisée par les juges d’application des peines. «C’est la directrice adjointe du centre pénitentiaire qui m’a appelé pour me dire que la visioconférence était utilisée à d’autres fins et que l’usage d’une pièce plus grande entrainerait des déplacements supplémentaires de détenus dans la prison», raconte l’avocate.
Or, cette situation va à l’encontre de l’exigence d’un procès équitable énoncée par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, et confortée par le Conseil constitutionnel selon lequel la loi «garantit» le droit de la personne détenue «d’être assistée d’un avocat au cours de la procédure disciplinaire». «En principe, et ce depuis 2000, la présence d’un conseil pendant une commission de discipline est obligatoire afin de garantir un débat contradictoire et de s’assurer du bon déroulé de la procédure», explique Cécile Marcel, de l’OIP. Tous les détenus, prévenus ou condamnés, sont soumis au régime disciplinaire de l’établissement dans lequel ils se trouvent incarcérés. «Ces commissions peuvent avoir des conséquences directes sur l’exécution de la peine.» Notamment en ce qui concerne les crédits de réduction de peine, accordées automatiquement un bon comportement de la part des détenus. «La présence du conseil est très importante car elle garantit un regard extérieur et un respect de la procédure», assure Me Briziou-Henneron.
Détenus non représentés de manière assez fréquente
Selon le coordinateur du pôle enquêtes à l’OIP, François Bès, en France, il est «malheureusement» assez fréquent que des détenus ne soient pas représentés. «Nous n’avons pas une vision exhaustive de la chose, il n’existe pas de statistiques, mais il arrive que des avocats ne puissent se déplacer pour différentes raisons, ou que l’avocat de permanence soit absent, notamment en période de Covid pour cause de mauvaise organisation ou de santé.» Et si l’absence de l’avocat n’est pas du fait de l’établissement pénitentiaire, un report de la commission n’est pas envisageable.
Entre deux explications, la bâtonnière de l’ordre des avocats du barreau de Châteauroux estime qu’il y a «énormément» de commissions de discipline dans cet établissement du Craquelin. «C’est à se demander si la population carcérale est compliquée ou si c’est l’administration qui est particulièrement dure.» Contactée par Libération, la direction de l’administration pénitentiaire indique ne pas être mesure de nous répondre pour le moment.
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