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Libération
Reportage

A L’Haÿ-les-Roses, «ils ont quand même essayé de l’assassiner»

Mort de Nahel, tué par un tir policier à Nanterredossier
Après l’attaque du domicile du maire de la commune du Val-de-Marne, une enquête a été ouverte ce dimanche 2 juillet pour «tentative d’assassinat». Les messages de soutien affluent.
Vincent Jeanbrun, maire de L'Haÿ-les-Roses, avec Valérie Pécresse, Elisabeth Borne, Gerald Darmanin et Christophe Bechu, à l'hôtel de ville, ce dimanche 2 juillet. (Denis Allard/Libération)
publié le 2 juillet 2023 à 19h54

«C’est quoi ça, c’est une caserne ?» Plantée sur une petite dalle de pierres beiges, la mairie de L’Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne) est emballée dans les fils barbelés et les grilles de fer. Des barricades installées vendredi, après trois nuits de violences urbaines dans la foulée de la mort de Nahel, à Nanterre. Les éclats de vitres brisées percent la façade de verre. Et au premier regard, avec ses airs de forteresse assiégée, le bâtiment ressemble en effet plus à une prison qu’à un hôtel de ville.

Les protections ont été installées par les services municipaux à la demande du maire, Vincent Jeanbrun, 39 ans, qui réclamait, à l’unisson de la droite et l’extrême droite, l’instauration de l’état d’urgence ainsi que des renforts de lanceurs de balles de défense. «Ce sont des casseurs organisés qui mènent une insurrection, expliquait-il vendredi sur France Info. C’est de la pure folie.»

Mais dans la nuit de samedi à dimanche, ce n’est pas la mairie qui a été attaquée, c’est le domicile de l’édile, où se trouvaient son épouse, par ailleurs conseillère départementale du Val-de-Marne, et ses deux jeunes enfants. Elle devait être opérée dimanche pour un tibia cassé. Vendredi soir, la famille n’avait pas dormi chez elle en raison de menaces. Notamment des tags disant «On sait où vous habitez, on va vous brûler vivants», selon le récit de l’édile.

«Un accélérant découvert dans une bouteille de Coca»

La voix inquiète, une habitante coiffée d’un bob marron n’en revient toujours pas. «Vous avez vu ce qui est arrivé à la famille du maire ? Qu’on soit d’accord ou pas avec lui, s’en prendre à sa famille, c’est moche tout de même.» A quelques rues de là, dans un quartier pavillonnaire et plutôt chic, une voiture de police garée en travers de la route bloque l’entrée de la rue où habite l’élu, fermée de rubalise rouge et blanche. Le procureur de Créteil, Stéphane Hardouin, tient une conférence de presse en plein air : «Vers 1h30 du matin, un véhicule enflammé a pénétré dans l’enceinte du pavillon du maire. Stoppé par un muret, seuls le portail d’entrée et le véhicule de la famille ont été touchés. Entendant du bruit et voyant des flammes, l’épouse du maire a pris la fuite avec ses enfants par le jardin.»

Une enquête a été ouverte pour «tentative d’assassinat». Pour le parquet de Créteil, les émeutiers ont vraisemblablement lancé le véhicule «pour brûler le pavillon». «Un accélérant a été découvert dans une bouteille de Coca», ajoute le procureur, dénonçant des faits d’une «gravité extrême».

A quelques pas de la maison de l’élu, dans une robe bariolée de couleurs, Fouzia, 72 ans, descend la rue avec son cabas bleu : «On peut être pour ou contre le maire, et c’est vrai qu’il n’est pas très aimé par certains, mais s’attaquer à sa famille et ses enfants, c’est vraiment terrible. Ils ont quand même essayé de l’assassiner.»

«J’ai entendu comme des pétards, et une voix disant qu’il y avait quelqu’un à l’intérieur», raconte Johanna sous les roses et les hortensias de son perron, entourée de ses deux enfants en crocs bleus et roses. «C’est un quartier très calme, très agréable à vivre, décrit celle qui vit à quelques numéros de la maison du maire. Le policier [qui a tué Nahel] est mis en examen donc je ne comprends pas que ça continue.»

«Nous ne laisserons rien passer»

Avant une brève apparition pour les photographes sur le balcon qui surplombe la façade de la mairie, Elisabeth Borne, les ministres Gérald Darmanin, Christophe Béchu, Dominique Faure et la présidente de la région Ile-de-France, Valérie Pécresse, se sont entretenus avec Vincent Jeanbrun. Selon la Première ministre, il faut «dire à tous les maires qu’aucun maire ne sera laissé seul dans ce genre de circonstances. On va tout faire pour ramener l’ordre au plus vite. Nous ne laisserons rien passer.» Cette attaque à la voiture-bélier a déclenché une marée de soutiens politiques, tous bords confondus. Lundi, l’Association des maires de France appelle à des rassemblements sur les parvis des mairies à midi pour protester contre les agressions visant les édiles.

Avec Valérie Pécresse, dont il fut l’assistant parlementaire à l’Assemblée, Vincent Jeanbrun chemine vers le marché couvert de la ville, qui a été incendié dans la nuit de vendredi à samedi. L’élu énumère les impacts de projectiles qui semblent tisser d’immenses toiles d’araignée sur les vitres de verre. A l’intérieur du bâtiment désert, il flotte une odeur âcre de caoutchouc brûlé. Au-dessus d’un stand de cuisine libanaise noirci par les flammes, des lambeaux de la toile censée couvrir le marché laissent entrevoir des fragments de ciel. Alain est boucher, mais aujourd’hui il ne pourra pas travailler : «Il faut du froid, et comme il n’y a pas d’électricité, on ne peut pas déballer.» Boussad tient normalement une pâtisserie dans le marché couvert, mais les dégâts l’ont obligé à improviser un étal dehors. «Du coup, je vends des crêpes», sourit-il. Entre deux étals délabrés, Vincent Jeanbrun félicite ses concitoyens qui ont pris les choses en mains en se précipitant pour sauver ce qui pouvait l’être en pleine nuit.