«Ici, on en a mangé de la lacrymo.» Comme s’ils en gardaient des traces, devant la préfecture de Nantes (Loire-Atlantique), les yeux de Claire, 75 ans, larmoient encore. La retraitée, vêtue d’un gilet floqué Force ouvrière (FO), représente ce vendredi 22 septembre l’une des nombreuses organisations ayant appelé à marcher contre les violences policières partout en France. Dans cinq jours, cela fera trois mois que le jeune Nahel succombait au tir d’un policier, à Nanterre (Hauts-de-Seine).
Un drame qui a particulièrement ému Claire, déjà marquée par la «violence dont la police a fait preuve» pendant les mobilisations contre la réforme des retraites. «Un cap a été franchi, assure-t-elle. Même en mai 68, la police n’était pas aussi violente ; aujourd’hui, pendant les mobilisations, les syndicats ne sont pas épargnés.» Habituée des manifestations depuis un demi-siècle, l’ancienne salariée de la sécurité sociale est frappée par renforcement des dispositifs policiers. «J’ai peur qu’un jour l’un de mes petits-enfants se prenne un tir de flashball», lâche la septuagénaire au milieu du millier de manifestants.
«Chaque année davantage peur»
A quelques mètres, dans le cortège qui s’étoffe, Pierre-Louis et Sacha, lycéens en classe de terminale, ont justement l’âge de ses petits-enfants. «Pour lutter contre la réforme des retraites, on a participé à onze journées de mobilisation», décomptent-ils. Mais Sacha, 16 ans, garde un souvenir amer de sa dernière manifestation, où elle a été touchée par une grenade assourdissante. «Je n’ai pas eu le temps de réfléchir, elle m’a explosé à la tête», se souvient la lycéenne aux cheveux bleus flashy. Dans leur groupe d’amis, plusieurs autres jeunes disent avoir subi des violences policières. Pierre-Louis, 17 ans, considère faire face à un dilemme. «S’il m’arrivait quelque chose, aujourd’hui, il faudrait vraiment que ma vie soit en jeu pour que j’appelle la police. Je me sens plus en danger en leur présence que sécurisé.»
Pour Marie-Lou, 34 ans, ce sont ses mobilisations avec les gilets jaunes, et la fête de la musique il y a quatre ans, qui ont fait entrer Nantes dans la liste des villes marquées par les violences policières. Dans la nuit du 21 au 22 juin 2019, Steve Maia Caniço, animateur périscolaire de 24 ans, s’est noyé dans la Loire à la suite d’une opération policière destinée à stopper une soirée électro en cours sur l’île de Nantes. «Des Nahel, il y en a plein», affirme l’auxiliaire de vie en tenant fermement sa pancarte «Justice pour Steve». «J’y étais ce soir-là, c’était le chaos, enchaîne-t-elle. On a chaque année davantage peur de la police. Il faudrait rétablir le dialogue car on a besoin d’eux mais je ne sais pas comment : ce n’est pas le ministre de l’Intérieur actuel qui va arranger les choses.»
«On n’oublie pas»
Il est presque 20 heures quand les manifestants dépassent la tour LU, sans heurt. Bientôt, leur trajet prendra fin à Malakoff, quartier populaire de Nantes. «Les enfants de ces quartiers sont les premières victimes de la répression qui ne fait que grandir», explique Julie, membre de la CGT depuis bientôt dix ans. Derrière elle, deux policiers à moto ferment le cortège. Le cortège ralentit près des premières tours d’habitation du quartier. Julie s’arrête : «Ça va faire trois mois que Nahel a été tué : on veut montrer qu’on n’oublie pas.»