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Libération
A la barre

A Toulouse, la machine à expulsions ne connaît pas de trêve à Noël

Lundi 25 décembre, «Libération» a suivi une audience au tribunal correctionnel de Toulouse, où des personnes sans papiers tentent de contester leur placement en rétention.
Le palais de justice de Toulouse. (Lilian Cazabet/Hans Lucas. AFP)
par Stéphane Thépot, correspondant à Toulouse
publié le 26 décembre 2023 à 11h33

Deux fillettes en bas âge sont assises dans la salle des pas perdus étrangement vide du tribunal correctionnel de Toulouse (Haute-Garonne). En ce 25 décembre, elles attendent la décision du juge des libertés et de la détention (JLD). Huit hommes originaires d’Afrique ont été transférés dans la matinée depuis le centre de rétention administrative (CRA) de Cornebarrieu, au bord des pistes de l’aéroport de Blagnac, jusqu’au tribunal, dans deux fourgonnettes. Les grilles du palais de justice sont baissées, seule la minuscule salle d’audience numéro 6 est pleine comme un œuf. «Je demande le silence pour la sérénité des débats», dit le juge Robin Planes en ouvrant les débats.

Une dizaine d’agents de la police aux frontières (PAF) ont escorté ces personnes retenues. Les CRA ne sont pas des prisons aux yeux de la loi, mais certains quitteront pourtant le tribunal menottes dans le dos. Tous, en situation irrégulière, sont sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français et demandent leur libération du CRA. Trois avocats de permanence se relaient pour plaider leurs dossiers, découverts à la dernière minute. «Ce n’est pas dans votre intérêt de m’interrompre», lance le premier avocat, agacé, à son client. Ce dernier, un Algérien particulièrement volubile, essaie d’expliquer au juge qu’il n’a plus d’adresse depuis son divorce. «Mon passeport est au consulat», assure le quadragénaire.

Particulièrement vulnérable

L’interprète présente pour assurer les traductions, en arabe et en anglais, conseille au jeune qui s’avance ensuite d’ôter son bonnet devant le magistrat. Le juge Planes voudrait savoir quels types de médicaments ont été prescrits à cet homme, atone et d’une maigreur quasi maladive. Son avocate le présente comme particulièrement vulnérable en raison de problèmes psychiatriques. Au suivant.

Souleymane s’avance à son tour à la barre. Ce jeune, coiffé de dreadlocks et vêtu d’un jean troué, explique être le père de la petite fille qui attend dans la salle des pas perdus. Il raconte au juge avoir quitté la Guinée à 17 ans pour se rendre en Europe via la Turquie. «Je n’ai jamais posé de problèmes à la police depuis que je suis en France», assure-t-il. Le jeune homme, qui répond poliment au JLD, a tout de même écopé d’une précédente condamnation à trois ans de prison. Tout juste libéré de la maison d’arrêt de Seysses, il a été transféré au CRA le 23 décembre, en vertu des consignes du ministère de l’Intérieur. Le magistrat apprécie que le jeune homme ne cherche pas à nier ses circonstances de son ancienne condamnation. Il s’étonne toutefois de lire dans son dossier que Souleymane serait célibataire et sans enfants.

Sept recours rejetés

«Il s’est marié en 2021 et son enfant a été conçu en prison», explique son avocate du jour. Arrivée en retard, l’épouse tente timidement de se faire une place sur les bancs du public. Une policière de la PAF lui interdit de s’asseoir sur les deux premiers rangs, réservés aux personnes expulsables en instance de jugement. La jeune Comorienne, une femme menue aux ongles verts, restera muette. Elle n’aura pas l’occasion de venir témoigner à la barre. Considérant que la femme est née à Mayotte, le juge ordonnera finalement dans l’après-midi la libération du «père présumé». La petite fille, née à Toulouse l’été dernier et baptisée Princesse, a retrouvé Souleymane dans la soirée. Ce n’est pas un cadeau pour autant : l’ordonnance du tribunal précise que «l’intéressé a l’obligation de quitter le territoire français». Les sept autres recours de ce Noël au tribunal ont tous été rejetés.