Cela n’a pas changé sa vision des choses, bien au contraire. Mathieu Rigouste, 41 ans, chercheur indépendant en sciences sociales, notamment sur les violences policières, vit une interminable bataille judiciaire depuis une dizaine d’années. Douze renvois au compteur. Des chiffres impressionnants qui font dire, le 5 janvier, à la juge du tribunal judiciaire de Toulouse qu’elle n’a «jamais vu ça dans [sa] carrière».
Dans la nuit du 21 au 22 juin 2013, lors de la Fête de la musique à Toulouse, Mathieu Rigouste se trouve en plein quartier Arnaud-Bernard, un lieu où la présence policière est généralement importante pour faire face notamment aux trafics de cigarettes qui se font à la vue de tous sur la place et les petites rues alentour. Il est presque 4 heures quand le chercheur sort de boîte de nuit.
Une rixe éclate, Mathieu Rigouste et ses amis s’y retrouvent mêlés. La bagarre attire deux équipages de la brigade anticriminalité (BAC) qui interviennent rapidement. A partir de là, deux versions s’affrontent. Selon les policiers, Mathieu Rigouste aurait copieusement insulté les agents. «La BAC fils de pute, bande de fachos, allez niquer vos mères, allez vous faire enculer.» Ivre, il aurait ensuite agressé un sous-brigadier en se jetant sur lui «les deux pieds en avant» puis en lui portant «un coup de poing au visage». D’où une plainte pour «violences sur personnes dépositaires de l’autorité publique» et «outrage».
Un «grand classique»
Or, on le sait, l’outrage est devenu depuis des années la botte secrète de policiers mis en cause dans des affaires, notamment, de violences policières. «C’est le grand classique», ironise Mathieu Rigouste. «C’est une affaire malheureuse qui est venue confirmer des modèles d’analyse que je défendais déjà», explique le chercheur. Sa mésaventure intervient ironiquement quelques mois après la publication de son livre la Domination policière : une violence industrielle, qui étudie, entre autres, «la possibilité des violences policières» et un «système d’impunité judiciaire». «Il y a une impunité complète, dénonce Mathieu Rigouste. Les policiers ne sont que très rarement condamnés, parfois dans des histoires bien plus catastrophiques que la mienne.» «Pire, certains policiers mis en cause dans des affaires peuvent être promus, ajoute-t-il, car on leur reconnaît d’avoir dû endurer la vindicte médiatique et populaire», ceci avec l’aide des syndicats de police.
Son procès a donc eu lieu le 5 janvier. Et la version des policiers n’a pas spécialement convaincu la procureure. Cette dernière a en effet considéré qu’il serait «difficile de condamner Mathieu Rigouste pour des faits de violences». C’est que les discours des policiers semblent ne pas correspondre. «Il n’y en a pas un qui raconte la même chose», souffle le chercheur, en précisant : «Un me charge de violences contre un autre policier qui ne déclare pas ces violences. Un autre encore explique que j’aurais mis un coup dans le dos d’un policier qui explique qu’en fait il s’est fait un lumbago tout seul en me mettant les menottes.» Un gloubi-boulga qui a convaincu le parquet de ne demander qu’une condamnation pour «outrage. Avis suivi par la juge, qui a relaxé ce mardi 7 février Mathieu Rigouste en ce qui concerne les «violences», mais condamné le chercheur à une amende de 300 pour «outrage».
«Important de faire vivre la vérité»
Le mis en cause a pris le temps de raconter «les menottes jusqu’à l’os et ensuite tout le poids de [s]on corps tiré sur plusieurs mètres par la chaîne de ces menottes». «J’ai senti mon poignet casser, j’ai hurlé.» Les coups portés à son crâne, les insultes au commissariat puis de nouvelles violences. «On m’a pris par la nuque pour m’enfoncer la tête contre un mur et une autre personne a ouvert une porte battante avec ma tête, rapporte Mediapart, qui a assisté au procès. J’ai ensuite été jeté au sol où j’ai passé une heure à répéter : “J’ai mal ! Desserrez-moi les menottes ! Pourquoi vous m’avez fait ça ?” J’ai pris des coups de pied dans les côtes. Ensuite j’ai été amené à l’hôpital.» Le bilan des blessures constaté par les médecins est évocateur : fracture du poignet gauche, traumatisme facial avec hématome, œdème périorbitaire, une plaie à la lèvre inférieure et une contusion à la cheville droite.
«Ils m’ont mis la tête dans les murs, menotté par-derrière, je n’ai jamais vu le visage des policiers qui m’ont fait ça, raconte le chercheur. Le procès m’a permis de voir pour la première fois le visage d’un des agents qui était dans l’équipage.» Mathieu Rigouste a porté plainte contre les agents le 28 octobre 2014, déclenchant l’ouverture d’une instruction pour «violence par une personne dépositaire de l’autorité publique suivie d’incapacité n’excédant pas huit jours». Après un non-lieu en 2021, il a fait appel et le dossier devrait être réexaminé en février. «Je considère qu’il est important de faire vivre la vérité et nous n’avons pas d’autre solution que de la porter nous-mêmes.»
Mis à jour le 7 février à 18 h 15. Mathieu Rigouste condamné à une amende de 300 euros pour «outrage» mais relaxé en ce qui concerne les «violences» envers les policiers.