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Justice

Affaire Adèle Haenel : Christophe Ruggia, condamné pour agressions sexuelles contre l’actrice entre ses 12 et 14 ans, fait appel

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Le jugement prononcé ce lundi 3 février contre le cinéaste, accusé d’avoir agressé sexuellement l’actrice quand elle était mineure, est conforme à ce qu’avait requis le parquet, soit cinq ans de prison dont deux ferme sous bracelet électronique.
Christophe Ruggia, ce lundi 3 février 2025 à Paris. (Cha Gonzalez/Libération)
publié le 3 février 2025 à 6h08
(mis à jour le 3 février 2025 à 13h58)

Après deux jours d’un procès intense, c’est l’heure de la décision dans l’affaire Adèle Haenel : le tribunal de Paris a condamné ce lundi 3 février le réalisateur Christophe Ruggia à deux ans de prison ferme sous bracelet électronique pour avoir agressé sexuellement l’actrice quand elle avait entre 12 et 14 ans, un jugement conforme aux réquisitions.

A l’issue du procès qui s’est tenu les 9 et 10 décembre, l’accusation avait en effet requis cinq ans de prison dont deux ferme, aménagés sous bracelet électronique, à l’encontre du réalisateur de 60 ans. Ce dernier a contesté jusqu’au bout avoir agressé Adèle Haenel, aujourd’hui âgée de 35 ans. Christophe Ruggia n’ira donc pas en prison. La défense de Christophe Ruggia, elle, avait plaidé la relaxe et a annoncé qu’elle allait faire appel : «Dans ces conditions et parce que nous ne pouvons pas nous résoudre à l’injustice, au moment où je vous parle Christophe Ruggia se rend au greffe […] pour faire appel de cette décision», a déclaré Me Collin.

L’actrice, visiblement nerveuse avant le jugement, n’a pas réagi à l’annonce du délibéré. Christophe Ruggia, qui évitait de la regarder, n’a pas montré de réaction non plus. Le tribunal a aussi condamné le réalisateur à indemniser Adèle Haenel à hauteur de 15 000 euros pour son préjudice moral, et 20 000 pour ses années de suivi psychologique quand les avocats de l’actrice, Yann Le Bras et Anouck Michelin, avaient demandé 30 000 euros en réparation du préjudice moral et 31 000 en réparation d’années de suivi psychologique.

Adèle Haenel avait joué le rôle principal de son film les Diables, sorti en 2002, une histoire de fugue perpétuelle d’un frère et d’une sœur qui tourne à l’inceste, avec des scènes de sexe entre les enfants et de longs gros plans sur le corps nu d’Adèle Haenel. Plusieurs adultes sur le plateau avaient dit leur «malaise» face au comportement «déplacé» du réalisateur presque quadragénaire avec son actrice, castée à 11 ans. Les agressions sexuelles qu’a dénoncées Adèle Haenel – publiquement dans Mediapart en 2019, ouvrant la voie au #MeToo dans le cinéma français – auraient commencé chez le réalisateur, après le tournage du film sous couvert de préparation de sa promotion. Et se seraient poursuivies quasiment tous les samedis après-midi pendant les années de quatrième et de troisième de l’adolescente.

«Mais ferme ta gueule !»

A la barre, l’actrice, qui s’est mise aujourd’hui en retrait du cinéma, a décrit le processus toujours identique des agressions. Elle assise sur le canapé, lui qui vient «se coller» l’air de rien au fil de la conversation parce que «ma puce, [t’es] vraiment trop drôle». Puis les mains qui passent sous le tee-shirt, dans son pantalon. Après le «goûter», il la ramenait chez ses parents. Droite comme un i à l’audience, le visage régulièrement pris de spasmes nerveux, elle avait cherché les mots pour décrire l’impossibilité de sortir de cet engrenage, face à un homme qui disait l’avoir «créée», qu’il n’avait «pas eu de chance de tomber amoureux d’elle», cette «adulte dans un corps d’enfant».

L’actrice, qui avait péniblement contenu sa rage face aux dénégations répétées de Christophe Ruggia, se contentant de le fixer d’un regard noir qu’il évitait, avait fini par exploser la seconde après-midi de procès. Bondissant de son siège et dans un cri venu de loin, elle avait hurlé «mais ferme ta gueule !» frappant des mains sur la table devant elle, figeant pendant quelques secondes une salle d’audience habituellement plus policée.

Le réalisateur était en train d’expliquer qu’il avait tenté de la protéger des retombées du film dans la vraie vie, lui suggérant notamment qu’elle prenne «un nom d’emprunt». Elle avait ensuite quitté la salle, comme en écho à son départ de la cérémonie des césars en 2020 après la désignation de Roman Polanski comme meilleur réalisateur de l’année, un geste qui l’avait érigée en symbole des féministes.

Une «défense absurde»

Soutenant qu’elle avait une «sensualité débordante» à 12 ans, Christophe Ruggia a assuré n’avoir «jamais» été «attiré» par Adèle Haenel. Les accusations portées contre lui ? Une «vengeance» car il aurait refusé de la faire jouer à nouveau. Et puis, «il fallait lancer un #MeToo français, et c’est tombé sur moi». Une «défense absurde», avait balayé la procureure Camille Ploch. «Il a fait le choix d’agresser sexuellement. Il avait toute sa conscience d’homme, d’adulte pour agir autrement.» «Cette audience doit rappeler l’interdit, qui était l’adulte, qui était l’enfant, elle doit remettre le monde à l’endroit», avait martelé la magistrate, disant n’avoir «aucun doute» sur la réalité des agressions, décrites de manière «constante» par Adèle Haenel.

Les avocates de Christophe Ruggia, Fanny Collin et Orly Rezlan, ont plaidé la relaxe, même si, aux yeux de tous, Christophe Ruggia est déjà «coupable», ont-elles déploré, craignant que le tribunal ne soit tenu «de rendre justice le pistolet sur la tempe».

Mis à jour à 13h45 avec le jugement.