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Embrouilles

Affaire Bernard Tapie-Crédit lyonnais : l’UE entre dans la danse

Saisie le 17 mai, la Cour de justice de l’Union européenne devra évaluer si l’homme d’affaires a subi des «violations du droit européen de la concurrence» de la part du Crédit lyonnais au début des années 90.
Bernard Tapie, le 19 octobre 2005, au palais de justice de Paris. (Jack Guez/AFP)
publié le 19 mai 2021 à 18h21

Depuis bientôt trente ans, la justice française prend un malin plaisir à refaire, que ce soit au plan pénal, civil ou commercial, le match Bernard Tapie vs Crédit lyonnais, à propos de la revente d’Adidas en 1992. Sans jamais encore parvenir à en donner le résultat final. Désormais, c’est la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) qui va entrer dans la danse. L’instance suprême, dont les décisions s’imposent aux juridictions nationales, a été formellement saisie lundi par le tribunal de commerce de Paris d’une quinzaine de «questions préjudicielles».

Rédigées dans un jargon juridique parfois abscons, on comprend toutefois aisément ou elles veulent en venir : la banque, alors mandatée par le vendeur, avait-elle racheté pour elle-même la marque aux trois bandes avant de la céder à l’homme d’affaires Robert Louis-Dreyfus, encaissant au passage une confortable plus-value occulte ? Les juges consulaires français reprennent ainsi à leur compte les notions de «viol de l’obligation de loyauté et d’information» et de «l’interdiction d’un mandataire chargé de la vente de se constituer contrepartie».

Ils demandent à la CJUE si le Crédit lyonnais, alors banque publique, aurait aussi contourné la réglementation européenne en matière d’aides d’Etat ou de concurrence. En reprenant texto cette question préjudicielle rédigée par les avocats de Bernard Tapie : «Les violations constatées du droit européen ouvrent-elles le droit à des actions indemnitaires Ses réponses sont attendues sous un an, mais le principal intéressé dit sa confiance: «C’est comme si on demandait à la CJUE si Tapie s’écrit bien avec un E à la fin !»

550 millions d’euros requis

C’est curieusement à l’occasion d’une petite procédure adjacente, opposant Bernard Tapie à l’assureur allemand Allianz (repreneur des Assurances générales de France [AGF], qui furent un temps coactionnaires d’Adidas), que le tribunal de commerce de Paris ouvre ainsi les vannes en grand. «L’arrêt qui sera rendu par la CJUE, ainsi appelée à se prononcer sur le péché originel de l’affaire Adidas, ne manquera pas, quelle que soit son issue, d’avoir des conséquences diverses et à ce jour imprévisibles sur toutes les autres procédures encore en cours», se félicitent par avance ses avocats, Jean-Louis Dupont, Martin Hissel et Sébastien Engelen.

Il y a bien sûr, sur le plan pénal, l’actuel procès en appel pour escroquerie (après l’annulation de l’arbitrage controversé lui ayant accordé, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, 400 millions d’euros de dommages et intérêts), Bernard Tapie et ses coprévenus, dont Stéphane Richard, actuel patron d’Orange et ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde, ayant été spectaculairement relaxés en première instance.

Mais surtout les multiples procédures commerciales, en France comme à l’étranger, chargées de la liquidation judiciaire de ses différents holdings. Et donc de fixer le montant que devra finalement restituer l’homme d’affaires au Consortium de réalisation (CDR, structure publique ayant hérité des antiques casseroles du Crédit lyonnais depuis privatisé). Le CDR, lui, réclame pas moins de 550 millions d’euros (les 400 de l’arbitrage de 2008 plus les intérêts de retard), quand Bernard Tapie multiplie recours et procédures pour en verser le moins possible. A la CJUE d’arbitrer les inélégances.