L’affaire Depardieu prend racine dans un acte judiciaire, fin août 2018. La jeune comédienne Charlotte Arnould porte plainte contre Gérard Depardieu qu’elle accuse de l’avoir violée à deux reprises, les 7 et 13 août, dans son hôtel particulier. En juin 2019, le parquet de Paris classe sa plainte sans suite. Elle dépose alors, en mars 2020, une nouvelle plainte avec constitution de partie civile, laquelle entraîne la saisine d’un juge d’instruction. En juillet 2020, une information judiciaire est ouverte et, en décembre 2020, l’acteur est mis en examen pour «viols» et «agressions sexuelles».
Trois ans plus tard, l’instruction de ce dossier sensible est toujours en cours. Une durée qui peut paraître longue, a fortiori pour les victimes. Le délai raisonnable pour achever une instruction où le mis en cause est détenu est traditionnellement fixé à 12 mois pour une affaire délictuelle et à 18 mois pour un dossier criminel, car adossé à la durée maximale de la détention provisoire. Dans les faits, cette temporalité est rarement respectée, compte tenu de la pénurie chronique de moyens matériels et humains de la justice. En matière criminelle, il s’écoulerait en moyenne 49,4 mois entre le début de l’instruction et la condamnation, selon la plateforme gouvernementale Vie publique.
«C’est souvent la parole de l’un contre l’autre»
«Les cabinets d’instruction sont surchargés. Le temps qu’on peut consacrer chaque jour par dossier est ingérable», soulève la secrétaire nationale de l’Union syndicale des magistrats, Fabienne Averty, juge d’instruction pendant dix ans. En moyenne, un magistrat instructeur en province planche sur 110 dossiers par an, une charge qui grimpe jusqu’à 140 dossiers à Paris. Face à cette masse, il faut prioriser. Plusieurs critères entrent alors en ligne de compte. «A partir du moment où le mis en examen est libre [ce qui est le cas de Depardieu, ndlr], les dossiers sont moins prioritaires que ceux concernant des mis en cause détenus : le cadre légal de la détention provisoire doit être respecté, sinon ils seront remis en liberté.» Autre point : les délais de prescription. En matière d’infractions sexuelles, ceux-ci sont plus longs, par exemple, qu’en matière de diffamation. Là encore, il faut choisir. Enfin, dans les dossiers criminels, les expertises psychologiques et psychiatriques sont obligatoires. «Or, la pénurie d’experts est si importante qu’on arrive plus à en trouver et, lorsqu’on en trouve, il faut parfois attendre des mois», poursuit la magistrate.
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Les affaires de violences sexuelles restent surtout, par nature, délicates et complexes à traiter, notamment en matière de preuve. «C’est souvent la parole de l’un contre l’autre, surtout quand la matérialité du rapport est reconnue», continue Fabienne Averty. Au fil de son instruction, le magistrat va ordonner des actes d’enquête : expertises, auditions, confrontations… En juin 2023, la plaignante et Gérard Depardieu ont ainsi été confrontés, a révélé Charlotte Arnould dans une interview à Elle en octobre. Chaque partie peut répondre à ces actes et elle-même en demander. «Le juge peut s’y opposer, mais encore faut-il motiver ce refus. Et la partie peut faire appel devant la chambre de l’instruction.» Lesquelles n’ont cessé de voir leurs stocks s’accroître (+77 % entre 2005 et 2019, selon le rapport des Etats généraux de la Justice). Gérard Depardieu a d’ailleurs contesté sa mise en examen devant la «chins», laquelle l’a débouté en 2022.
Les témoignages de 13 femmes
De nouveaux éléments peuvent encore prolonger la durée de l’instruction. L’enquête de Mediapart, dévoilant en avril 2023 les récits de 13 femmes accusant Depardieu, a constitué une déflagration. Il était nécessaire pour la justice de considérer ces nouveaux témoignages pour retracer un paysage autour du mis en cause : «Cela ne veut pas dire que tous auront une issue judiciaire, mais nous en aurons tenu compte. Toutes les personnes qui ont souhaité être entendues ont eu l’occasion de l’être», fait savoir le parquet de Paris à Libération.
Hélène Darras fait partie de ces femmes. Figurante sur le tournage du film Disco de Fabien Onteniente en 2007, elle accuse l’acteur de l’avoir «pelotée». Le 18 septembre 2023, elle a finalement déposé plainte pour «agression sexuelle», pour ces faits manifestement prescrits. Car les victimes ont aussi besoin de temps pour se lancer dans une procédure dont elles savent combien elle sera éprouvante et longue. Reste que des investigations peuvent être menées sur ces faits, tant pour vérifier qu’ils sont bien prescrits que pour découvrir l’existence d’autres victimes.
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Emmanuelle Debever, qui avait joué avec Depardieu dans le film Danton, en 1983, avait dénoncé en 2019, sur Facebook, les agissements de l’acteur. «Des vérifications ont été faites mais, en l’état, aucune plainte n’a été retrouvée», indique le parquet de Paris, qui a par ailleurs ouvert une enquête «en recherche des causes de la mort», après qu’elle a mis fin à ses jours le 6 décembre. Enfin, une journaliste espagnole Ruth Baza a porté plainte pour viol en décembre. Si l’Espagne ne s’estime pas compétente sur ces faits qui auraient été commis par l’acteur français à Paris, en 1995, elle peut transmettre la procédure aux autorités judiciaires hexagonales. A ce jour, le parquet de Paris n’a encore rien reçu.