Cinq ans presque jour pour jour : voilà le temps qui s’est écoulé depuis que, le 23 mars 2019, le commissaire de police Rabah Souchi a ordonné aux policiers sous son autorité une charge qui l’a conduit devant le tribunal correctionnel, pour complicité de violence par une personne dépositaire de l’autorité publique. Cette manœuvre offensive a renversé, sur la place Garibaldi de Nice, Geneviève Legay, militante associative qui participait à une mobilisation des gilets jaunes. La retraitée de 73 ans en a réchappé avec quatre mois d’ITT, et des séquelles à vie. Ce vendredi 8 mars, le tribunal correctionnel de Lyon a condamné le haut fonctionnaire à six mois de prison avec sursis, tout en lui accordant une dispense d’inscription de cette condamnation dans son casier judiciaire.
«Ordre illégitime»
Au cours de son procès, en janvier, le commissaire Rabah Souchi, devenu récemment directeur adjoint de la police municipale niçoise, a tenté de se défausser sur sa hiérarchie (peu nombreuse, puisqu’il était directeur du service d’ordre le jour des faits). Surtout, le haut fonctionnaire a blâmé ses subalternes. En tant que commissaire représentant l’autorité civile, Rabah Souchi n’était pas censé donner d’ordre de charge : la loi lui imposait de laisser le commandant opérationnel – ici un capitaine – le faire. Pourtant, une vidéo montre le haut fonctionnaire crier «Chargez !» dans un mégaphone. Contre l’évidence, Rabah Souchi a assuré pendant l’enquête et lors de son procès qu’il ne s’agissait pas d’un ordre à destination de tous les policiers, mais d’un message adressé au capitaine, qui n’a pas répercuté.
Aussi, la défense a tenté de pointer la responsabilité du major qui a poussé Geneviève Legay. Identifié, celui-ci n’a pas été renvoyé devant le tribunal correctionnel, car les juges d’instruction ont estimé que sur le moment, l’ordre de charge n’était pas manifestement illégal (et son geste non plus). Un policier qui a pris part à cette manœuvre a toutefois déclaré, pour la première fois lors du procès du commissaire, que celui-ci avait donné un «ordre illégitime». Ce témoin, cité par la défense, a ainsi suscité une certaine surprise dans la salle, où étaient présentes Geneviève Legay, ses filles, et de nombreuses personnes les soutenant. Lors du procès, le procureur Alain Grellet, qui a requis six mois de prison avec sursis, n’a pas eu de mots assez durs contre cette charge visant une foule pacifique et âgée : «incohérente», «inutile», «mal ordonnée», «ni nécessaire», «ni proportionnée», «ni conforme». Le tribunal correctionnel de Lyon lui a emboîté le pas, estimant que la manœuvre «n’était ni justifié, ni proportionné, ni nécessaire».
Version erronée de Macron
L’affaire Legay a aussi illustré les étonnantes pratiques du procureur de la République de Nice d’alors, Jean-Michel Prêtre (d’où le dépaysement du dossier à Lyon). Le magistrat avait d’abord confié l’enquête à la sûreté départementale des Alpes-Maritimes, dont la compagne de Rabah Souchi était l’une des responsables. Le procureur avait également reconnu avoir menti pour soutenir la version erronée du président de la République : selon Emmanuel Macron, Geneviève Legay n’avait pas chuté à cause des policiers. Ce 8 mars, la justice a confirmé qu’il avait tort.