Une avancée dans l’affaire Grégory, plus de quarante ans après son assassinat. Jacqueline Jacob, la grand-tante de l’enfant, a été mise en examen, ce vendredi 24 octobre à Dijon, du chef d’«associations de malfaiteurs criminelle». Elle est soupçonnée d’être l’un des corbeaux qui a menacé la famille Villemin. Aujourd’hui âgée de 81 ans, la grand-tante par alliance de Grégory a été interrogée à partir de 10 heures à la cour d’appel de Dijon, chargée de cette enquête chaotique, et qui continue de passionner, autour de la mort de Grégory Villemin, retrouvé noyé à 4 ans, le 16 octobre 1984, dans la Vologne (Vosges).
C’est l’un des trois avocats de Jacqueline Jacob, Stéphane Giuranna, qui a annoncé la nouvelle de la mise en examen à la presse, après plus d’une heure et demie d’interrogatoire. Le juge d’instruction qui a interrogé la grand-tante «nous a dit qu’il n’avait pas le choix» de la mise en examen, a précisé Stéphane Giuranna lors d’un point presse, ajoutant que la défense allait faire appel «sur la forme et sur le fond». «Nous allons faire notre métier, contester les éléments pied à pied parce qu’ils sont tous contestables», a-t-il lancé, offensif.
Analyses stylométriques
Lors d’une conférence de presse ce vendredi après-midi, le procureur général de Dijon, Philippe Astruc, a précisé : «Concrètement, la chambre de l’instruction lui reproche d’avoir participé entre 1982 et 1984 à un groupement ou une entente en vue de la préparation d’un ou plusieurs crimes ou délits ayant débouché sur l’enlèvement de Grégory.» Le procureur a ensuite détaillé les «multiples indices graves et concordants» retenus par la chambre de l’instruction pour mettre en examen Jacqueline Jacob.
Il y a d’abord les déclarations de son beau-frère, René Jacob, qui avait dit aux gendarmes en 2022, après avoir écouté un enregistrement du corbeau : «Je pense avoir reconnu» sa voix. Mais aussi des expertises graphologiques de 2017, puis stylométriques (qui s’attachent à l’orthographe et aux tournures de phrases) de 2021 et 2023, qui attribuent à Jacqueline Jacob trois courriers anonymes de 1983. cette dernière analyse soutient «très fortement l’hypothèse», d’après la chambre de l’instruction, que c’est Jacqueline Jacob qui a écrit la lettre du 16 octobre 1984 revendiquant le crime. «J’espère que tu mourras de chagrin le chef […] Voilà ma vengeance. Pauvre con», disait le courrier. Et encore «la concordance entre ses appels téléphoniques et son emploi du temps» et «le témoignage d’un proche qui a indiqué qu’il était possible qu’elle se soit absentée», a précisé Astruc.
Enquête
«En 1993, la justice dijonnaise avait dit qu’il fallait se méfier de la graphologie, rétorque Stéphane Giuranna. Manifestement la justice ne retient pas de ses erreurs.» «La stylométrie est loin d’être un gadget», a répondu Marie-Christine Chastant-Morand, avocate des parents du petit Grégory, à l’une des piques des avocats de Jacqueline Jacob. «C’est un moyen scientifique nouveau qui sonne la signature, l’empreinte de l’expression» d’une personne, a-t-elle estimé, disant garder «espoir» que la vérité éclatera, «avec tous les moyens possibles pour la faire émerger». «Les parents [de Grégory] sont déterminés», a-t-elle ajouté.
Quant aux déclarations de René Jacob, Stéphane Giuranna tance : «On se fonde sur une réflexion d’un homme âgé de 90 ans à l’époque, qui n’a pas reconnu la voix de Jacqueline Jacob mais seulement son rire. Ça ne vaut rien.» Et Stéphane Giuranna de souligner qu’«il y a une expertise vocale dans le dossier, cette expertise vient dire qu’il s’agit d’un homme âgé de 45 à 55 ans». Pas sa cliente, donc, qui ressort «sans aucune mesure de coercition ni même un contrôle judiciaire, note-t-il. C’est donc quand même que la justice se dit qu’effectivement, ça ne pèse pas bien lourd.» «Il n’était pas de la compétence du président de la chambre de l’instruction de prononcer ce matin, une éventuelle mesure de sûreté», recadre Philippe Astruc, pour qui il n’y a par ailleurs «aucune détention provisoire nécessaire» à ce stade.
Déjà mise en examen en 2017
Le procureur général a en revanche souligné un risque juridique sur la qualification d’«association de malfaiteurs criminelle», pour laquelle Jacqueline Jacob a été mise en examen. «C’est une procédure de quarante et un ans, il y a eu beaucoup de pièces, d’actes annulés, parfois pour des questions de procédure, pour des irrégularités juridiques, il me paraît souhaitable que nous puissions avancer de la manière la plus sûre», dit Philippe Astruc, pour qui «il demeure la volonté pleine et entière de continuer de manière construite, raisonnable et juridiquement sûre, la recherche de la vérité la plus complète dans cette affaire. Nous le devons à un petit enfant de quatre ans et à ses parents».
Ce n’est pas la première fois que Jacqueline Jacob était entendue. En 2017, elle avait déjà été mise en examen, cette fois pour «enlèvement et séquestration suivie de mort», et même emprisonnée durant quatre jours. Cette mise en examen avait été annulée en mai 2018, mais pour un simple vice de forme, dans un énième couac de cette laborieuse enquête qui fait de l’affaire Grégory l’une des plus grandes énigmes criminelles en France. Les juges d’instruction ont repris aujourd’hui une partie des soupçons qui pesaient déjà en 2017 sur Jacqueline Jacob, en y ajoutant de nouvelles expertises qui les confirmeraient, selon eux.
La famille Villemin avait reçu des dizaines de lettres et appels anonymes dans les années précédant la mort de Grégory. La réussite professionnelle du jeune père, Jean-Marie Villemin, vite monté contremaître dans son usine et vivant dans une belle maison, suscitait les jalousies. Dès le début des investigations, les enquêteurs avaient pointé du doigt la haine farouche entre les Jacob et les Villemin, faite de rancœurs et de jalousies ancestrales. Jacqueline Jacob, déléguée CGT, aurait traité Jean-Marie Villemin de «chef de mes couilles» en 1982, selon des témoins. Les époux Marcel et Jacqueline Jacob ont nié toute haine.
Mise à jour à 17 h 10 avec la conférence de presse du procureur général de Dijon ; à 14 h 45 avec la réaction de l’avocat de Jacqueline Jacob ; à 13 h 15 avec l’annonce de la mise en examen.