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Libération
Edito

Affaire Halimi : chasser les silences en nous

Affaire Sarah Halimidossier
La colère exprimée ses derniers jours par une large partie du public s’est nourrie de trois ans d’un relatif mutisme des médias et autorités et d’une certaine condescendance de la justice.
Sarah Halimi. (DR)
publié le 29 avril 2021 à 21h36

Il y a de longs silences inexplicables et d’ailleurs toujours inexpliqués dans l’affaire Sarah Halimi, du nom de cette paisible retraitée juive sauvagement assassinée dans son appartement de Belleville, dans la nuit du 3 au 4 avril 2017. D’abord le silence des policiers, présents en nombre dans la cage d’escalier, écoutant patiemment les cris de la victime sous la torture, puis le choc de sa défenestration avant d’intervenir plus d’une heure après que le meurtrier avait quitté les lieux. Puis le silence de la presse française, qui ne commence à s’interroger qu’à la mi-mai, autrement dit après les élections présidentielles. Et bien sûr le silence assourdissant de la juge d’instruction, refusant de retenir une possible motivation antisémite jusqu’en février 2018. Le silence de la gauche, laissant ses seuls membres juifs porter les pancartes lors des manifs, car le Juif a «des ennemis passionnés et des défenseurs sans passion», notait Sartre. Enfin, il y a le mutisme des tribunaux, refusant un procès pour cause d’«irresponsabilité pénale». Le seul qui ne se taisait pas est le meurtrier, Kobili Traoré, qui a massacré sa voisine, qu’il connaissait depuis dix ans, en vociférant «J’ai tué le sheitan [diable en arabe]», la vision du chandelier à sept branches ayant déclenché en lui une fureur meurtrière. «Il délire, mais sa folie ne manque pas de méthode», remarque Polonius dans Hamlet. Peut-on être fou et commettre un crime antisémite ? Les experts psychiatres ont estimé que le meurtrier était en proie à «une bouffée délirante aiguë» au moment des faits. L’incompréhension d’une large partie du public face à ces explications, et la condescendance avec laquelle elle est traitée par les représentants de la justice, laissent un boulevard béant dans lequel s’engouffrent les populistes de tout bord en réclamant une loi. Il serait temps de se parler, et de chasser les silences en nous.