Le regard fatigué, ils se sont levés tour à tour. Yacine Mihoub, 32 ans, a déclaré d’une voix à peine audible, ce mercredi matin : «Je n’ai pas tué Madame Knoll, je suis désolé pour sa famille, pour tout ce qui s’est passé.» Puis son coaccusé, Alex Carrimbacus, 25 ans, a prononcé : «Je suis soulagé d’avoir pu répondre aux questions de la cour et des parties civiles. […] Je tiens à faire part de mes regrets de n’avoir rien fait, j’aurais dû agir, m’opposer à lui [Yacine Mihoub]». Ainsi se sont achevés dix jours d’audience chaotiques qui n’auront pas permis aux jurés d’y voir plus clair dans le déroulement des faits. Le 23 mars 2018, Mireille Knoll, 85 ans, est morte dans son modeste appartement HLM du XIe arrondissement, le corps lardé de onze coups de couteau et en partie calciné. Et aucun des deux accusés - jugés pour ce meurtre avec les circonstances aggravantes de la vulnérabilité de la victime et de l’antisémitisme - n’a reconnu l’avoir tuée, laissant la cour se dépêtrer dans leurs versions antagonistes, un ping-pong sans fin de responsabilités.
Ce mercredi soir, quand ils sont revenus sous les lambris, après plus de neuf heures de délibéré, les jurés ont déclaré Yacine Mihoub seul coupable du meurtre aggravé de l’octogénaire et l’ont condamné à la réclusion criminelle à perpétuité (avec 22 ans de sûreté). De son côté, Alex Carrimbacus a écopé de quinze ans de réclusion criminelle, avec une période de sureté des deux tiers, pour vol aggravé. Quant à la mère de Yacine Mihoub, Zoulika K., elle a été condamnée à trois ans d’emprisonnement dont deux avec sursis pour «destruction de preuves», notamment pour avoir fait disparaître une bouteille de porto et nettoyé l’arme du crime. La cour a ainsi suivi pas à pas le raisonnement de l’avocat général, Jean-Christophe Muller, qui, la veille, a pris soin de départager les accusés : «La mort de Mireille Knoll repose sur les épaules de Yacine Mihoub», il est «le responsable unique» de ce «meurtre particulièrement sauvage».
Le ministère public a pointé les multiples incohérences de son récit et insisté sur le fait qu’il «a agi dans un contexte d’antisémitisme qui le caractérise dans tous ses domaines d’action et d’intérêt», faisant référence aux inscriptions à la gloire d’Amedy Coulibaly retrouvées dans la cellule de Yacine Mihoub en prison, à certaines lectures sur l’islam ou des propos tenus à son conseiller d’insertion et de probation au sujet des «Juifs friqués». Lors de son interrogatoire, ce lundi, l’intéressé avait contesté les faits d’un ton véhément. Ce 23 mars 2018, quelques mois après sa sortie de détention, il avait rendu visite à sa vieille voisine qu’il connaissait depuis l’enfance – elle vivait cinq étages en dessous de chez sa mère – pour «la remercier» : «J’ai appris qu’elle avait témoigné pour moi, ça a fait baisser ma peine», s’était-il défendu. Selon sa version, il était en train de fumer sur le balcon quand Alex Carrimbacus – qu’il a traité de «malade mental» – a attaqué «sans raison» l’octogénaire dans sa chambre : «Je l’ai perdu de vue même pas cinq minutes et ces cinq minutes ont suffi pour qu’elle reçoive onze coups de couteau. Moi j’ai vu que la fin de la scène, trois coups de couteau.»
A la barre
A l’en croire, si Yacine Mihoub n’a pas dénoncé les faits et même aidé à mettre le feu à l’appartement, c’est par «peur panique». «Après, je n’ai fait que des mauvais choix», a-t-il tenté de justifier. Or «il est matériellement impossible que Mireille Knoll [qui se déplaçait très difficilement à l’aide d’un déambulateur, ndlr] se soit rendue seule dans sa chambre dans les conditions décrites par M. Mihoub. Donc, si elle ne s’y est pas rendue dans ces conditions, c’est qu’elle y est allée autrement…» a expliqué l’avocat général, se ralliant à la version d’Alex Carrimbacus. Selon ce dernier, c’est Yacine Mihoub qui a porté sa voisine jusqu’à son lit, après une discussion qui s’est envenimée sur «la guerre d’Algérie et celle de 39-45». Là, il lui aurait assené plusieurs coups de couteau en criant «Allah Akbar». Le ministère public a finalement requis une peine de réclusion criminelle à perpétuité à l’encontre de Yacine Mihoub. Au sujet de son voisin de box, il a considéré qu’il n’était «ni complice, ni coauteur du meurtre» mais que, par «contamination», le caractère antisémite du crime lui était «également imputable». Et de conclure : «Il vole une morte dont le cadavre était encore chaud», réclamant une peine de dix-huit ans de réclusion criminelle pour vol aggravé.
«Une détestation larvée»
Durant la longue lecture des motivations du verdict – un peu plus clément pour Alex Carrimbacus que réclamé par l’accusation – Yacine Mihoub a gardé le regard figé devant lui, entre mouvements d’impatience et abattement. Il a écouté le président, Franck Zientara, résumer : les jurés n’ont «pas été convaincus par ses protestations d’innocence» et n’ont pas retenu «la thèse de la folie soudaine d’Alex Carrimbacus». Ils ont plutôt considéré que le mobile du crime reste la «haine sourde», «une détestation larvée» qu’il vouait à la victime après qu’il a été condamné pour une agression sexuelle sur la fille de son aide-ménagère, en 2017, et, de ce fait, manqué les obsèques de sa sœur pendant qu’il était en détention. Quant à Alex Carrimbacus, sa présence sur le seuil de la porte au moment du meurtre «ne suffit pas à en faire un complice». Néanmoins, le jeune homme à la «personnalité de type borderline» ne s’est pas «désolidarisé» et a participé au vol aggravé alors que Mireille Knoll était morte, a souligné la cour. A l’énoncé de ce verdict, les fils de Mireille Knoll, assis sur le banc des parties civiles, se sont discrètement serrés dans les bras.