Le 28 septembre, Libération révèle une étrange histoire : comment un entrepreneur franco-algérien, Tayeb Benabderrahmane, un temps proche du président du PSG, Nasser al-Khelaïfi, s’est retrouvé début 2020 détenu arbitrairement au Qatar dans des conditions «assimilables à de la torture». C’est le début de ce qu’on appelle désormais dans les couloirs du palais de justice de Paris le «dossier PSG» : un labyrinthe peuplé de personnages passe-murailles – dignitaires des pétromonarchies, footballeurs millionnaires, flics corrompus, lobbyistes, politiques, opportunistes de toutes obédiences.
A la lecture des procès-verbaux de justice, que Libération a pu consulter, l’enquête, toujours en cours, rebondit des geôles qataries à une garçonnière sous surveillance vidéo dans le XVIe arrondissement de la capitale, en passant par une maison de famille en Algérie où était cachée une mallette rouge aux précieux secrets, par des commissariats de province où des agents rendaient des services en échange d’une écharpe ou d’une place de match, sans oublier la «Factory», QG du club de foot où prospérait une officine de renseignement privé, et le «Carré» du Parc des princes, vitrine scintillante où se tramaient les coups tordus et étaient récompensés les affidés.
«Le feu jusqu’au plafond»
L’affaire, où chaque protagoniste apparaît au gré des phénomènes de cour et des revirements commanditaire ou victime, est à la fois la boîte noire du PSG version qatari – projet aux délirants enjeux géopolitiques et sportifs – et une boîte de Pandore, à même d’éclabousser des figures de la politique française (à l’instar de Rachida Dati), la police nationale, de grands avocats et, surtout, les intérêts souverains du Qatar, avec le potentiel de raviver le feu mal éteint du «Fifagate».
Dans ce dossier gigogne, une silhouette se détache : Nasser al-Khelaïfi, dit «NAK», omnipotent président du PSG et ministre «hors cadre» du Qatar, entouré d’une garde prétorienne où se côtoient ex-partenaires de tennis, communicants grisés par leur pouvoir et seconds couteaux bien connectés. Le Qatari apparaît comme un donneur d’ordres – dispatchant les «missions spéciales» ou, selon le témoignage rapporté de son ancien majordome, faisant le «ménage» dans un bûcher de supports numériques dans la crainte de perquisitions (quitte à mettre «le feu jusqu’au plafond» selon un de ses seconds). Mais aussi comme une cible, ses ébats étant documentés en continu, tout comme une discrète escapade à Londres.
«Compromission du secret de la défense nationale»
Dans quel but, ordonné par qui ? Des membres de la famille royale restés au Qatar se méfiant du «fils de pêcheurs» devenu si puissant ? D’anciens proches ayant décidé de le faire chanter, par appât du gain ou vengeance ? Difficile à dire en l’état, les intentions du lobbyiste Tayeb Benabderrahmane et de l’ex-agent du renseignement Malik Nait-Liman, duo mis en examen fin septembre 2022, entre autres pour «trafic d’influence», «corruption» et «compromission du secret de la défense nationale», apparaissent à ce jour ambiguës, voire contradictoires.
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Le binôme, qui se donnait du «frérot» et du «tonton» quotidiennement, entendait bien faire fructifier leur position au sein du club («C’est comme ça qu’on tapera fort et qu’on grattera»), un rêve de gosse pour l’ancien flic et un objectif de carrière pour le communicant. Après avoir rendu moult services à la limite de la légalité, Benabderrahmane et Nait-Liman sont mis au parfum des secrets les plus sensibles de NAK, notamment via Hicham Karmoussi, son «intendant» désenchanté, qui aurait conservé un des téléphones de son patron comme «assurance vie». Par la voix de son avocat, Renaud Semerdjian, Nasser al-Khelaïfi assure n’avoir «jamais ordonné ou demandé des enquêtes sur des personnes appartenant au club ou extérieures au club».
En route vers un court de tennis, Benabderrahmane sera arrêté à Doha avant d’être libéré des mois plus tard au prix d’un douteux accord avec les avocats du président du PSG. A-t-il été mis à l’ombre pour avoir tenté de monnayer secrets et documents ou est-il simplement la victime collatérale de jeux de pouvoir entre Paris et Doha le dépassant largement ?