C’est la moitié de la peine initialement requise par le Parquet. L’écrivain franco-algérien Boualem Sansal a été condamné à cinq ans de prison ferme ce jeudi 27 mars par un tribunal algérien. Le tribunal correctionnel de Dar El Beida, près d’Alger, a décidé «en présence de l’accusé, une peine de cinq ans de réclusion ferme» et l’a aussi condamné à une amende de 500 000 dinars algériens, soit environ 3 500 euros. L’homme de lettres, reconnaissable à son catogan, est apparu à la barre, les cheveux rasés – comme tous les détenus en Algérie –, en veste verte, sans menottes et semblant plutôt en forme.
La France a immédiatement «déploré» cette condamnation, exhortant les autorités algériennes à trouver une issue «rapide, humanitaire et digne à cette situation», a déclaré Christophe Lemoine, le porte-parole du ministère français des Affaires étrangères. «Une détention cruelle, vingt minutes d’audience, une défense interdite, et au final, cinq ans de prison pour un écrivain innocent : une sentence qui trahit le sens même du mot justice, a de son côté réagi Me François Zimeray, l’avocat français du romancier. Son âge et son état de santé rendent chaque jour d’incarcération plus inhumain encore. J’en appelle au président algérien : la justice a failli, qu’au moins l’humanité prévale.» Une allusion à une potentielle grâce par le chef de l’Etat algérien, Abdelmadjid Tebboune.
«Liberté d’expression»
Lors de son procès la semaine dernière, dix ans de prison ferme avaient été requis contre le romancier emprisonné à Alger depuis le 16 novembre pour atteinte à l’intégrité du territoire. La justice lui reproche d’avoir repris à son compte, dans le média français d’extrême droite Frontières, la position du Maroc selon laquelle son territoire aurait été amputé au profit de l’Algérie sous la colonisation française. Pendant l’audience, l’écrivain avait nié toute intention de porter atteinte à son pays, expliquant avoir exercé sa «liberté d’expression» et exprimé «une opinion», mais a reconnu, selon le journal arabophone Echorouk, avoir sous-estimé la portée de ses déclarations.
Le politologue Hasni Abidi estime que la décision du tribunal, qui a infligé une peine réduite de moitié par rapport aux réquisitions du parquet, constitue «une avancée significative dans le processus judiciaire». Il souligne également qu’«une dynamique de négociation se met en place de manière sereine, portée par les déclarations positives des deux chefs d’État». Selon lui, la reprise du dialogue représente un signal fort qui pourrait ouvrir la voie à une issue à la crise. Samedi dernier, le président Abdelmadjid Tebboune avait lancé des signaux d’apaisement en direction de Paris, estimant que le contentieux était «entre de bonnes mains», avec comme «unique point de repère» Emmanuel Macron ou toute personne déléguée sur l’affaire, tel que son chef de la diplomatie Jean-Noël Barrot. Selon le site d’information TSA, citant «deux sources», une visite à Alger du ministre français des Affaires étrangères est «en préparation» en vue d’un «apaisement» de la crise.
Analyse
Ce verdict a entraîné de nombreuses réactions au sein de la classe politique française. «La condamnation scandaleuse de Boualem Sansal est en réalité, compte tenu de son âge et de son état de santé, une condamnation à perpétuité, a réagi sur X la cheffe du Rassemblement national (RN), Marine Le Pen. Boualem Sansal est un otage du régime algérien qui s’en sert pour faire plier la France.» Le candidat à la présidence du parti Les Républicains (LR), Laurent Wauquiez, a pour sa part dénoncé une «condamnation inique par un régime qui hait la liberté.» «Le délit d’opinion ne devrait pas exister. Nous réclamons à nouveau sa libération immédiate, a de son côté déclaré Mathilde Panot, la cheffe des députés insoumis. Nos principes ne varient pas : défense des droits fondamentaux et refus de toute instrumentalisation au service de l’extrême droite.
Le Sahara occidental au cœur de la brouille
La peine infligée à Boualem Sansal pourrait contribuer à aggraver l’état de santé de l’homme de lettres, âgé de 80 ans, selon son éditeur Gallimard, qui souffre d’un cancer et a déjà passé cent trente jours en détention en faisant des allers-retours entre sa cellule de prison et une aile pénitentiaire d’un hôpital de la capitale. Mais en parallèle du sort de l’écrivain, ce jugement alimente la plus grave crise diplomatique entre Alger et Paris depuis des décennies et peut avoir un rôle crucial dans un déblocage du contentieux bilatéral. Son arrestation avait aggravé les fortes tensions provoquées l’été dernier par un revirement d’Emmanuel Macron, qui avait apporté son soutien à un plan d’autonomie sous souveraineté marocaine pour le Sahara occidental.
L’Algérie avait retiré son ambassadeur à Paris fin juillet et menacé d’autres représailles après l’alignement de Macron sur la position marocaine pour cette ancienne colonie espagnole, au statut toujours indéfini à l’ONU. Un conflit y oppose depuis un demi-siècle le Maroc, qui contrôle 80 % du territoire, aux indépendantistes du Polisario, soutenus par Alger.
Mise à jour : à 12 h 26, avec l’ajout de la déclaration de l’avocat français de Boualem Sansal et du porte-parole du ministère français des Affaires étrangères.