A l’échelle marseillaise, un tel procès ne peut qu’avoir une forte valeur symbolique. Et même si l’affaire ne concerne pas directement le drame de la rue d’Aubagne, les huit morts dans l’effondrement d’un immeuble insalubre sont évidemment dans toutes les têtes. Gérard Gallas, ancien policier, comparait depuis ce lundi 13 novembre au tribunal avec une nouvelle étiquette : celle de marchand de sommeil.
L’ex-policier, qui avait travaillé dans un centre de rétention administrative, est accusé d’avoir, entre 2019 et 2021, soumis les occupants de ses logements à «des conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine» et de «mise en danger de la vie d’autrui». En tout, en son nom propre ou via des sociétés civiles immobilières (SCI), Gérard Gallas, 50 ans, possédait une centaine d’appartements dans une dizaine d’immeubles à Marseille. Mais seuls quatre de ces bâtiments situés dans les quartiers populaires du nord de la ville lui valent d’être jugé jusqu’à jeudi. Ces logements, parfois aménagés dans des caves, étaient loués jusqu’à 600 euros à des étrangers, sans-papiers ou demandeurs d’asile, en famille, avec souvent des enfants mineurs.
«Des cafards et des scorpions»
Devant les enquêteurs, des locataires ont témoigné de rats sous les éviers, d’un seul disjoncteur et cumulus d’eau pour cinq logements, d’appartement transformé en «piscine» par les infiltrations… A chaque question du président du tribunal Pascal Gand, Gérard Gallas répond inlassablement ne pas avoir été «au courant». Evacué après l’incendie de son immeuble en janvier 2021, l’événement qui avait déclenché l’ouverture de l’enquête, Redouane Benouri explique à la barre que même le palier de son étage était loué «cent euros la place». Aujourd’hui sans logement, Redouane Benouri dit avoir été «brisé» par cette affaire.
Arrivé en 2019 du Nigeria, Peter Destiny, 26 ans, expliquait avant l’ouverture du procès s’être installé ainsi avec sa femme enceinte dans «une toute petite pièce, sans chauffage, avec des toilettes qui ne marchaient pas». Loyer : 450 euros, payé via Ali Faissoili Aliani, le bras droit de l’ancien policier, un Comorien coprévenu dans cette affaire mais absent au procès. «On avait l’eau et l’électricité, mais pas tout le temps», et «il y avait des cafards et des scorpions», raconte le jeune homme, dont la fille, Success, est née en 2020, en montrant des photos sur son téléphone.
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A l’audience, Gérard Gallas expose longuement sa «stratégie d’investisseur», avec «taux de rentabilité» élevés et espoir de «cash-flow» important : «Les quartiers nord, c’était pour la rentabilité. C’est plus intéressant parce qu’à l’achat c’est beaucoup moins cher», reconnaît-il. «Sur le papier c’était une situation idéale, mais au lieu de gagner de l’argent, je suis à découvert tous les mois à cause des impayés. J’ai vu trop grand, j’ai été trop ambitieux», affirme celui qui vit aujourd’hui dans une villa vue sur mer louée 3 000 euros à Carry-le-Rouet, près de Marseille.
«Joie», «bonheur» et «bonne franquette»
Dans un texte retrouvé par les enquêteurs, Gérard Gallas, qui se présente aussi comme expert en exorcisme et président de «l’église catholique traditionnelle, apostolique vieille-catholique», ambitionne d’être «un modèle inspirant». Il est également l’auteur d’un projet de livre intitulé : «C’était impossible alors je l’ai fait : comment je suis devenu multimillionnaire en deux ans en investissant dans l’immobilier».
Aujourd’hui, Gérard Gallas charge son ancien «gestionnaire» Ali Faissoili Aliani, à qui il aurait tout délégué, de la recherche des locataires à l’encaissement des loyers ou l’exécution des travaux : «J’ai été naïf, j’ai confié mes biens à la mauvaise personne». […] Je voulais que règne la joie, le bonheur, la bonne franquette. l’objectif était noble», assure-t-il, allant jusqu’à citer mère Teresa. Les deux hommes encourent 10 ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende.
Pour Me Jorge Mendes, avocat de la ville de Marseille, qui s’est constituée partie civile, il s’agit d’un «procès emblématique de l’habitat indigne par l’ampleur du parc immobilier concerné», alors que la cité phocéenne compte 40 000 taudis et autant de personnes en attente de logement social. «Je veux que les marchands de sommeil ne dorment plus», avait lancé le maire de Marseille, Benoît Payan, en novembre 2022. Le 4 novembre, à la veille du cinquième anniversaire du drame de la rue d’Aubagne, il a appelé à légiférer pour reconnaître ce délit de «marchand de sommeil» et renforcer les sanctions pénales à leur encontre.