Plus haut, plus fort, plus beau. Emmanuel Macron a annoncé lundi vouloir «doubler les policiers sur le terrain d’ici 2030», notamment par la suppression de tâches annexes et des réorganisations. Comme tous ses prédécesseurs, plutôt de droite, le président de la République fait la promesse du retour du bleu dans la rue. «Le bleu marine va redevenir à la mode», expliquait en 2002 Patrick Devedjian, en parlant des CRS. Alors ministre délégué aux Libertés locales il défendait la ligne du ministre de l’Intérieur un certain Nicolas Sarkozy qui allait pourtant supprimer un an plus tard la police de proximité créée par Lionel Jospin. Emmanuel Macron lui-même employait la même expression en avril 2021 dans une entretien au Figaro : «Chaque Français verra plus de bleu sur le terrain en 2022 qu’en 2017. Ça rassure les gens, ça dissuade les délinquants. Je me bats pour le droit à la vie paisible.»
La mesure du jour, qui n’est en fait pas nouvelle et avait déjà été annoncée en septembre à Roubaix, devrait venir en complément de la création des 10 000 postes de forces de l’ordre depuis le début du quinquennat, a précisé le président de la République à Nice, devant des élus et des associations, lors de son déplacement en terres estrosiennes, haut lieu supposé de la sécurité intérieure en France.
«Mettre un terme aux tâches indues»
Emmanuel Macron explique que pour parvenir à cet objectif au cours des cinq prochaines années, la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (Lopmi) devra mettre «un terme aux tâches indues», comme la garde des bâtiments publics ou le transfert des détenus. Au total, cela devrait permettre de dégager «3 500 policiers et gendarmes» pour les mettre sur la voie publique. En outre, le président de la République prévoit une accélération du dégagement des policiers et gendarmes des tâches administratives. «Il n’y aura plus, explique-t-il, à compter de 2023 un seul de ces personnels actifs dans les fonctions de contrôle administratif à nos frontières ou de gestion des centres de rétention administrative (CRA).»
Un effort qui semble ambitieux tant les recrutements massifs de ces dernières années ont à peine compensé les nombreux départs en retraite, dont certains ont été anticipés par l’effet de l’accumulation d’heures supplémentaires converties en congés. En dix ans, les effectifs policiers n’ont progressé que de 1 % et certaines missions de police ont même perdu des postes. Cette baisse des effectifs de voie publique est notamment liée au taux d’engagement des effectifs sur le terrain. La Cour des comptes note depuis 2011 «une baisse continue de la présence sur la voie publique», avec un taux d’environ 39 % cette année-là à un peu moins de 37 % en 2020. Ce qui n’empêche pas Emmanuel Macron de marteler depuis le début du quinquennat qu’ils mettent «plus de bleu sur le terrain». «La nouvelle doctrine d’emploi annoncée en août 2017, la «police de la sécurité du quotidien» ne s’est pas, pour l’instant, traduite par une plus grande présence policière sur le terrain», relève sobrement la Cour des comptes.
Du côté des syndicats policiers, la nouvelle est plutôt bien accueillie, même si l’on attend des détails pour se prononcer. «Les gardes bâtimentaires, les transferts de détenus, ça existe encore, explique Thierry Clair du syndicat Unsa Police. Il est essentiel de dégager du temps aux fonctionnaires pour être sur le terrain. Aujourd’hui, une intervention de 10 minutes va immobiliser un agent pendant de deux à trois heures, ne serait-ce que pour des questions procédurales.» Un avis que partage le sociologue et ancien policier, Jean-Michel Schlosser. «Cela permettrait une plus grande prévention par la dissuasion et multiplierait les occasions de faire du flagrant délit. Ensuite, si on n’améliore pas la réponse pénale, la multiplication des interpellations n’aura pas de réelles conséquences, ce sera un engorgement. Je n’incrimine pas la justice qui a probablement des problèmes budgétaires.»
Mais tous les syndicats ne sont pas d’accord, à l’image du discours du syndicat minoritaire Sud Solidaire : «Lutter contre l’insécurité, c’est développer des politiques sociales de lutte contre les inégalités ; c’est investir dans les services publics ; c’est assurer des conditions de vie décentes à toutes et tous. Lutter contre l’insécurité en doublant le nombre de policiers, en généralisant les caméras piéton et les amendes forfaitaires, en simplifiant la procédure pénale pour attenter aux droits de la défense, en supprimant les rappels à la loi et en empilant les lois sécuritaires est une impasse.»
Une volonté de s’approprier le sujet de la sécurité
Pour le sociologue du Cesdip Olivier Cahn, les difficultés des policiers sur le terrain ne sont pas tellement liées à des problèmes d’effectifs. «Nous sommes tout de même le pays européen qui connaît le plus de policiers par rapport au nombre d’habitants. Il est étonnant, si on se place du point de vue de la promotion du continuum de sécurité privée, de constater que, même en donnant des missions à des polices municipales et à la sécurité privée, il faut tout de même plus de policiers nationaux sur le terrain.» Plus de policiers nationaux mais pour quoi faire ? Des interpellations supplémentaires ? Plus de flagrant délit ? Alimenter une présence supposée rassurante pour la population ? Christian Mouhanna, sociologue à la tête du Cesdip, regrette le manque d’idée sur la question sécuritaire. «Il n’y a pas de renouvellement, pas d’idée originale, le même discours sur les incivilités que l’on nous rabâche depuis les années 1990… Alors que nous avons une loi pénale quasiment tous les six mois en moyenne», dénonce-t-il.
Le chercheur prend l’exemple de la police de sécurité du quotidien, que l’on n’a pas assez évaluée à son goût. «Mais qui sont les policiers qui vont faire du contact avec la population ? Nous n’avons jamais eu de retour sur expérience de la police de sécurité du quotidien. On ne savait pas ce que c’était, on ne le sait toujours pas vraiment d’ailleurs, mais il y a peut-être eu des initiatives intéressantes localement ? On n’a même pas un bilan un peu clair.»
Pour le directeur du Cesdip, Emmanuel Macron se rallie à la rhétorique du sécuritaire répressif : la lutte contre la drogue comme fer de lance par exemple, là où des réflexions sur la légalisation du cannabis sont entamées un peu partout dans le monde. «On répète ce que disent les Zemmour, Le Pen ou Pécresse. On nous explique que le niveau d’autorité a baissé, pourquoi pas, mais comment on l’améliore ? On manque de réflexion, le ministère de l’Intérieur fonctionne beaucoup dans l’urgence, il sait plus ou moins bien s’adapter à des situations de crise, mais ce n’est pas un ministère qui réfléchit tant que cela. Il s’assoit souvent sur l’Histoire et a tendance à toujours faire les mêmes réformes. Quand on voit les résultats du Livre Blanc de la Sécurité Intérieure… On a mis la plupart des chercheurs sur la touche, ce qui est un indice tout de même.»