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Libération
«Secret-défense»

Après la garde à vue d’Ariane Lavrilleux, l’alerte sur la protection des sources

A moins de quinze jours de l’ouverture des états généraux de l’information, le sort fait à la journaliste de «Disclose», qui dénonçait ce jeudi un «nouveau cap franchi», relance le débat sur la loi française régissant la protection du secret des sources. Un ancien militaire a été mis en examen dans ce dossier.

Le rassemblement du 20 septembre en soutien à Ariane Lavrilleux, à Paris. (Albert Facelly/Libération)
Publié le 21/09/2023 à 23h15

A moins de quinze jours de leur ouverture officielle, voilà les futurs «états généraux de l’information» placés sous le signe d’un débat plus qu’urgent sur la protection des sources journalistiques. «La situation de la journaliste Ariane Lavrilleux montre qu’il faut aujourd’hui ouvrir un chantier sur la loi en vigueur», lançait ce jeudi matin sur X (ex-Twitter) le secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF), Christophe Deloire, nommé cet été délégué général de cette consultation, promesse de campagne d’Emmanuel Macron. Dans la soirée du mercredi 20 septembre, Ariane Lavrilleux, journaliste indépendante qui travaille notamment pour les médias Disclose et Mediapart, était ressortie libre de l’hôtel de police de Marseille à l’issue de près de quarante heures de garde à vue, lesquelles s’étaient ouvertes par dix heures de perquisition à son domicile.

Ces mesures, extrêmement rares dans un tel cas, font suite à deux plaintes du ministère des Armées et à l’ouverture, fin 2021, d’une enquête préliminaire pour «compromission du secret de la défense nationale» et «révélation d’information pouvant conduire à identifier un agent protégé», confiée à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). En cause, plusieurs articles publiés par Disclose, notamment une longue enquête consacrée à la mission «Sirli» – une opération de renseignement militaire française soupçonnée d’avoir été détournée par l’Etat égyptien pour bombarder des civils suspectés de contrebande, sans que Paris, informé, ne la remette en cause – mais aussi d’autres révélations sur des ventes d’armes à l’Egypte, à la Russie ou encore à l’Arabie saoudite. Deux juges d’instruction avaient été nommés à l’été 2022. Des cosignataires des articles, pour l’heure, seule Ariane Lavrilleux a été perquisitionnée, gardée à vue et interrogée par la DGSI.

Un ancien militaire mis en examen

«On a franchi un nouveau cap», dénonçait la journaliste jeudi après-midi 21 septembre lors d’une conférence de presse organisée dans les locaux de RSF à Paris, fustigeant un «détournement des services de la justice» pour «traquer une journaliste, ses sources, celle du média indépendant Disclose». Ses ordinateurs et ses téléphones ont été «aspirés», des documents placés sous scellés en attendant que le juge des libertés et de la détention statue sur leur sort. «J’ai appris que j’étais sous surveillance depuis un certain temps», a-t-elle souligné. Outre Lavrilleux, un ancien militaire a également été placé en garde à vue, comme l’avait révélé Mediapart il y a deux jours. Ce jeudi, il a été mis en examen pour «détournement et divulgation du secret de la défense nationale» – des infractions punies de sept ans de prison et un million d’euros d’amende – et placé sous contrôle judiciaire, a indiqué le parquet.

Depuis ce mardi, l’épisode a provoqué une vive émotion, des syndicats et associations de journalistes et d’organisations de défense des droits, comme Amnesty International et Reporters sans frontières. L’ONG de défense de la liberté de la presse réclame à nouveau la révision de la loi Dati de 2010, qui prévoit certes qu’un journaliste ne peut en aucun cas être contraint de révéler sa source, mais permet aux services enquêteurs d’attenter «directement ou indirectement» au secret des sources en cas d’«impératif prépondérant d’intérêt public» : une notion bien trop floue, fait valoir Pavol Szalai, responsable du bureau Union européenne de RSF. Dans une tribune commune, plus de quarante sociétés de journalistes (dont celle de Libé) ont dénoncé ce jeudi «une attaque sans précédent contre la protection du secret des sources des journalistes» et appellent, elles aussi, à faire de cette question une priorité des états généraux de l’information.