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Libération
Imprudence

Areva visée par un procès pour «négligence» lors de l’enlèvement de Français au Niger en 2010

Le fleuron du nucléaire français a été visé par une ordonnance de renvoi en correctionnelle vendredi 26 septembre. L’entreprise est accusée d’avoir sous-évalué la menace terroriste en 2010 quand sept personnes avaient été enlevées sur un de ses sites à Arlit.

Dans la nuit du 15 au 16 septembre 2010, cinq Français, un Malgache et un Togolais avaient été enlevés à Arlit au Niger (photo) par des hommes armés. (Olympia de Maismont/AFP)
Publié le 19/10/2025 à 16h48

Les alertes n’avaient pas été entendues. Quinze ans après une interminable prise d’otages, un procès correctionnel a été ordonné vendredi 26 septembre contre le géant français du nucléaire Areva devenu Orano, suspecté d’avoir sous-évalué la menace Al-Qaïda. Cette imprudence avait rendu possible l’enlèvement en 2010 de cinq Français, un Malgache et un Togolais près de la mine d’uranium d’Arlit au Niger.

Confirmant une information du journal Le Parisien, des sources proches du dossier ont assuré dimanche à l’AFP qu’un procès a bien été ordonné contre l’entreprise Areva pour «blessures involontaires par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence et de sécurité imposée par la loi ou le règlement, ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de trois mois».

«Rien n’a été sérieusement mis en œuvre pour protéger les salariés»

Les juges d’instruction avaient en revanche ordonné un non-lieu, conformément aux réquisitions du Parquet national antiterroriste (Pnat), pour d’autres infractions : «enlèvement et séquestration en bande organisée et en relation avec une entreprise terroriste, association de malfaiteurs terroriste, tentative d’assassinat, abstention à la commission d’un crime, non-assistance à personne en péril et mise en danger d’autrui.» Le Pnat, qui avait également requis un non-lieu pour l’infraction de blessures involontaires, a fait appel de ce renvoi le 2 octobre, selon la source judiciaire.

«Il est inacceptable de constater que malgré les nombreux avertissements portés à la connaissance d’Areva, rien n’a été sérieusement mis en œuvre pour protéger les salariés sur les sites», a réagi Me Olivier Morice, avocat de l’un des ex-otages, Pierre Legrand, qui avait porté plainte en 2013. Areva ne souhaite pas commenter, selon l’avocate du groupe, Me Marion Lambert-Barret.

1 139 jours de détention

Dans la nuit du 15 au 16 septembre 2010, cinq Français - Françoise et Daniel Larribe, Pierre Legrand, Marc Féret et Thierry Dol -, un Malgache, Jean-Claude Rakotoarilalao, et un Togolais, Alex Awando, avaient été enlevés à Arlit par des hommes armés. Après cinq mois de captivité, le 25 février 2011, Françoise Larribe, malade, avait été libérée avec les salariés malgache et togolais. Les quatre derniers otages avaient été délivrés le 29 octobre 2013, après 1 139 jours de détention dans le désert sahélien.

L’information judiciaire a été ouverte en 2013 au pôle antiterroriste parisien. Lors de son interrogatoire de mise en examen en juin 2022, le groupe, représenté par sa directrice juridique, avait réfuté tout manquement dans la gestion du risque, affirmant que la protection des salariés était une priorité.

Des alertes émises dès 2008

A Arlit, l’un des sites d’extraction d’uranium au Niger, Areva devait assurer la sécurité des expatriés travaillant pour le groupe, ses filiales et sous-traitants, mais chaque entité avait également des obligations de sécurité envers son personnel, s’était défendue la directrice juridique. Selon des éléments de l’enquête, le groupe avait signé un contrat avec Niamey prévoyant la mise à disposition des forces de sécurité nigériennes pour protéger installations minières, logements et déplacements des expatriés.

Les investigations ont révélé le manque de protection du site, où vivaient environ une centaine de personnes. Le couple Larribe a été kidnappé dans sa villa, située dans un ensemble d’habitations non clôturé. Ces lieux de vie étaient surveillés par des Touareg, employés de sociétés privées, sans armes. Aucun système d’alerte ni base de repli n’était prévu en cas d’intrusion. Dès 2008, l’attaché de défense de l’ambassade de France avait pourtant alerté sur la sécurité défaillante du site d’Arlit.

Lors des kidnappings, policiers et gendarmes ne sont pas intervenus. Les forces de sécurité sont arrivées une heure et demie après. Pour Areva, le dispositif de sécurisation élaboré était solide, mais sa mise en œuvre a été défaillante, avait justifié la directrice juridique. Aux négligences de sécurité s’ajoutait une sous-évaluation du risque que représentait Aqmi au Niger, selon les juges d’instruction. Depuis 2009, les enlèvements d’Occidentaux et les menaces d’Aqmi contre les intérêts français s’étaient multipliés.