Marine Le Pen, son parti et sa direction des années 2010 bientôt sur les bancs du tribunal. Deux juges d’instruction financiers ont ordonné ce vendredi 8 décembre le renvoi devant le tribunal correctionnel de Paris de la cheffe de file du Rassemblement national, de sa formation politique et de 26 autres personnes soupçonnés d’avoir participé à un système de détournement de fonds publics européens entre 2004 et 2016.
Une première audience sur l’organisation du procès pour détournement de fonds publics et complicité est prévue le 27 mars 2024 avant les débats au fond qui auront lieu en octobre et novembre 2024, a précisé le parquet. «Cette décision n’est malheureusement pas une surprise», a réagi dans un communiqué Me Rodolphe Bosselut, avocat de la présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale.
Les juges d’instruction ont suivi les réquisitions émises en septembre 2022 par le parquet de Paris, lequel demandait un procès pour le Rassemblement national et 27 personnes, suspectées d’avoir pris l’argent de l’UE entre 2004 et 2016 pour rémunérer des assistants travaillant en réalité pour le parti. La liste des personnes visées par le ministère public - 11 personnes ayant été élues eurodéputés sur des listes Front national (rebaptisé RN depuis), 12 autres ayant été leurs assistants parlementaires, mais aussi quatre collaborateurs du parti d’extrême droite - rassemble la grande majorité des figures du parti du milieu des années 2010.
Sont ainsi renvoyés en procès les deux dirigeants historiques du parti à la flamme, Jean-Marie Le Pen, qui l’a cofondé en 1972, et Marine Le Pen, qui en a assumé la présidence entre 2011 et 2022. Mais aussi le maire de Perpignan Louis Aliot, l’ex-numéro 2 du parti Bruno Gollnisch, son ex-patron de l’administration Nicolas Bay passé depuis chez Eric Zemmour, l’ex-trésorier Wallerand de Saint-Just, le député et porte-parole du RN Julien Odoul, l’ex-imprimeur du parti Fernand Le Rachinel. Une seule exception notable : Florian Philippot, numéro deux du parti pendant quelques années, est, lui, mis hors de cause.
339 000 euros remboursés
L’enquête a débuté en mars 2015, après un signalement du Parlement européen. Les investigations ont ensuite été confiées fin 2016 à deux juges d’instruction financiers parisiens. Après plusieurs refus de se présenter devant les juges, Marine Le Pen a été mise en examen en juin 2017 pour «abus de confiance» et «complicité», des poursuites requalifiées plus tard en «détournement de fonds publics».
Dans ses 197 pages de réquisitions, le parquet de Paris évoque «un véritable système mis en place pour faire supporter, par le Parlement européen, une partie des charges de fonctionnement du FN via la prise en charge des salaires d’un nombre croissant de ses employés». Le ministère public avance un mobile : le parti était alors «en grande difficulté financière». L’ex-trésorier avait écrit cette lettre à Marine Le Pen en 2014 : «Nous ne nous en sortirons que si nous faisons des économies importantes grâce au Parlement européen […]».
Pour la législature 2014-2019, au cœur du dossier, le parquet affirme que Marine Le Pen a «imposé aux eurodéputés FN nouvellement élus qu’ils mettent à sa disposition une partie de leur enveloppe budgétaire», 21 000 euros mensuels, «pour la rémunération de collaborateurs afin de soulager les finances du FN».
Le Parlement européen, partie civile, avait évalué en 2018 son préjudice à 6,8 millions d’euros pour les années 2009 à 2017. L’institution a entamé des procédures de recouvrement des sommes incriminées. En juillet, Marine Le Pen a fini de rembourser 339 000 euros, tout en contestant l’analyse.
Dans un dossier distinct révélé par Mediapart en 2022, l’Office européen de lutte antifraude (Olaf) a par ailleurs accusé le FN d’utilisation indue de frais de mandats, notamment par Marine Le Pen. Le Parlement européen avait annoncé son intention de recouvrer les 600 000 euros en cause.