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Justice

Assistants parlementaires : François Bayrou et le Modem face aux juges

Le procès en correctionnelle des emplois litigieux du parti centriste au Parlement européen s’ouvre ce lundi 16 octobre à Paris.
François Bayrou à Vincennes, le 25 mars 2023. (Albert Facelly/Libération)
publié le 16 octobre 2023 à 6h23

Un comble pour des europhiles convaincus. Ce lundi 16 octobre s’ouvre le procès du Modem, qui va durer un mois, poursuivi pour «détournements de fonds publics européens». En cause, le statut de certains des assistants parlementaires, officiellement recrutés pour travailler à Bruxelles ou Strasbourg, mais œuvrant en tout ou partie au siège du parti, à Paris. Fâcheux symbole : le Parlement européen s’est constitué partie civile. En tête de gondole, François Bayrou, poursuivi pour «complicité par abstention», deux anciens trésoriers du Modem, Jean-Jacques Jégou et Michel Mercier, deux hauts responsables du parti (directeur financier et directeur des services) ainsi que cinq anciens eurodéputés. D’emblée, l’avocat du leader centriste, Pierre Cornut-Gentille, proclame que «sa mise en cause repose sur des postulats erronés et des hypothèses non vérifiées».

Il existe deux types d’assistants parlementaires, chaque eurodéputé disposant d’une enveloppe mensuelle de 17 450 euros en vue de les rémunérer (charges et frais inclus) : les «accrédités», qui disposent d’un badge d’accès à Bruxelles et Strasbourg et travaillent à 100 % sur place, et les «locaux», qui œuvrent depuis Paris au siège du parti. Sous prétexte d’une «task force européenne», des salariés du Modem se sont ainsi vu offrir un complément de salaire, les eurodéputés Modem ayant accepté de centraliser un tiers de leur budget assistants. «Cette gestion mutualisée a pu amener une certaine confusion», relève la juge d’instruction Aude Buresi, dans son ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, «les déficits des uns pouvant être comblés par les excédents des autres.» Et d’asséner : «S’il n’y a pas d’enrichissement personnel des députés ou cadres du parti, le Modem est le bénéficiaire du détournement de fonds, profitant d’une force de travail qu’il ne rémunérait pas.» Le terme d’emplois fictifs est donc impropre.

Une querelle de chiffres

Seuls sont en cause les assistants «locaux» n’ayant strictement rien fait pour leurs eurodéputés, travaillant à temps plein pour le parti. Ainsi s’explique que seuls cinq élus se retrouvent sur le banc des prévenus, l’éphémère ministre de la Défense Sylvie Goulard ayant finalement bénéficié d’un non-lieu – alors qu’elle avait dû rapidement démissionner du premier gouvernement d’Emmanuel Macron, tout comme François Bayrou à la Justice. Il y a Jean-Luc Bennahmias, qui a employé le principal collaborateur du trésorier du Modem – pourtant un job à temps plein. Ou encore Thierry Cornillet, qui a embauché durant la campagne présidentielle de 2007 l’animatrice web du candidat Bayrou.

D’où une querelle de chiffres : initialement, le Parquet national financier (PNF) évaluait les présumés détournements de fonds européens à 1,4 million d’euros, somme que la juge Buresi a finalement ramené à 348 336 euros. Encore trop élevé pour Me Cornut-Gentille, tout à son souci de minimiser l’affaire : pour lui, c’est 262 034 euros, concernant «4,5 % des assistants parlementaires (6 sur 131 au cours des trois législatures visées) et 0,5 % des charges du Modem.» Et le Parlement européen d’évaluer son propre préjudice à 293 000 euros.

Une chronologie contestée

Le contexte financier : en dépit des bons scores de François Bayrou aux présidentielles de 2007 et de 2012, les législatives tenues dans la foulée ne furent guère glorieuses. Or c’est sur ces élections-là que se calculent essentiellement les subventions publiques aux partis politiques. Ainsi, après 2012, l’enveloppe du Modem est passée de trois millions d’euros à moins d’un million. De quoi recourir à divers expédients ? C’est ce que reproche l’acte d’accusation : «Cette situation financière a conduit le parti à proposer à certains salariés une réduction de leur temps de travail à leur poste, et une compensation en tant qu’assistants parlementaires de députés européens.»

L’avocat de François Bayrou conteste cette chronologie. A l’entendre, «aucun contrat à temps partiel n’a été signé après fin 2012». D’autres mesures prises à l’époque, le licenciement de 16 salariés sur 25, et la vente de l’usufruit d’une partie de son siège, rue de l’Université dans le VIIe arrondissement de Paris, auraient suffi à renflouer le Modem. Pour l’anecdote, le siège appartient toujours officiellement à l’UDF, maintenue en vie pour cette seule raison, également poursuivie en tant que personne morale. Et la défense, contrairement à l’accusation, de réfuter toute idée de «système» en bande organisée.

Reste que l’affaire aura fait bien des dégâts en interne. Jean-Marie Cavada avait en son temps refusé la combine, car «rendant opaque l’usage des enveloppes des parlementaires : cela a été une des causes de mon départ de l’UDF». Corinne Lepage, après avoir publié un livre au vitriol, les Mains propres (2014, Autrement), témoignera à charge contre ses anciens alliés. Devant les enquêteurs, François Bayrou la traitera en retour de «menteuse de compétition.» Toutefois, c’est à l’initiative d’une dénonciation d’un responsable du RN, aux prises d’une affaire similaires mais soucieux d’élargir le spectre, que l’enquête pénale aura démarré. Il y a aussi cet ancien du Modem passé LR, tweetant frénétiquement sur le «Bayrougate». Tout ceci n’est guère démocrate-chrétien.