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Libération
A la barre

Au procès de militants d’Ultime Liberté pour le suicide assisté : «C’était si compliqué de devoir mentir»

Le tribunal correctionnel de Paris a décidé de ne pas transmettre la question prioritaire de constitutionnalité déposée lundi 15 septembre par les avocats de la défense, laissant l’audience se poursuivre normalement.

Des membres de l'association Ultime Liberté devant le tribunal pour soutenir les militants mis en cause, à Paris le lundi 15 septembre. (Stephane De Sakutin/AFP)
Publié le 16/09/2025 à 15h12, mis à jour le 16/09/2025 à 21h08

Valérie se tient droite à la barre, ses lunettes posées sur une feuille de papier imprimée. S’y trouve ce témoignage qu’elle ne pensait pas pouvoir livrer sans lire : elle débite pourtant son récit sans hésiter, même si sa voix tremble par moments. Elle raconte cette mort programmée qu’elle a dû taire, d’abord auprès de ses proches, puis des policiers. Celle de sa mère, 76 ans, qui a choisi de se suicider avec une dose de pentobarbital, un barbiturique interdit en France hors soins vétérinaires. L’appartement de la septuagénaire a été perquisitionné le lendemain de sa mort, au même moment qu’une centaine d’autres lieux partout en France. Mais le flacon recherché par les autorités était désormais vide. La mère de Valérie a adhéré à Ultime Liberté pour pouvoir mourir avant que la maladie de Charcot ne s’étende trop. «Nous l’avons fait dans le secret. C’était si compliqué de devoir mentir», raconte sa fille six ans plus tard, la gorge serrée.

Ce sont pour des histoires comme celle-ci que douze militants pour l’aide à mourir sont jugés au tribunal correctionnel de Paris, depuis lundi 15 septembre. Le dépôt d’une question prioritaire de constitutionnalité par des avocats de la défense avait chamboulé la première journée d’audience. «Le tribunal a décidé de ne pas [la] transmettre» à la Cour de cassation, a finalement annoncé la présidente ce mardi après-midi. L’audience a donc pu reprendre son cours. Dans une salle plus petite que la veille, mais toujours avec un public nombreux, si bien que les prises de parole ont été retransmises dans une autre salle pour permettre à tout le monde de les suivre. La plupart viennent en soutien et sont des adhérents d’Ultime Liberté, discrète association qui milite pour la légalisation du suicide assisté et «l’euthanasie volontaire», prise en toute conscience mais sans nécessité de maladie. Onze des douze prévenus se présentent comme des responsables ou membres actifs. Ils sont poursuivis pour des faits relevant de délits d’acquisition, d’importation ou de détention de produit illicite (ou leur complicité) – en l’occurrence, pour avoir aidé des dizaines de personnes à acheter depuis l’étranger du pentobarbital pour mettre fin à leurs jours.

«Mourir dans de bonnes conditions»

Les prévenus ne seront en revanche auditionnés que la semaine prochaine ; le procès débute avec les auditions des témoins, présentés par les avocats de la défense. Elles ont commencé par deux histoires, deux faces d’une même pièce, dans un pays où le suicide assisté et l’euthanasie sont interdits. Celle d’une mort décrite comme «parfaite», choisie, entourée de proches ; et celle d’une mort solitaire et secrète. Le second récit est celui de la mère de Valérie, qui n’a pas voulu impliquer quiconque pour leur éviter des ennuis. «Je lui ai donné le nom de l’association, puis ils l’ont accompagnée. Elle me tenait au courant de ce qu’elle comptait faire, mais je n’ai pas participé», assure sa fille, qui soupire sous le poids du silence et de la clandestinité.

Le ton d’André, passée à la barre avant elle, était bien différent. Ce sont les derniers moments de sa cousine que cette ancienne prof d’espagnol a voulu raconter : elle avait 82 ans, était atteinte d’un énième cancer, ne voulait pas souffrir et comptait surtout «mourir dans de bonnes conditions». La témoin s’attache à décrire cette nuit de mars 2017 : une soirée «ordinaire» entourée de ses proches, jusqu’à ce que l’octogénaire aille se coucher vers 23 heures. «Elle a posé ses lunettes, son peignoir, je lui ai apporté le verre d’eau, elle a versé la poudre et l’a bu. Elle s’est endormie en moins de cinq minutes, nous lui tenions la main.» Sept ans plus tard, André retient la «sérénité absolue» qu’elle et ses petits-cousins ont ressentie. Rien à voir avec la violente tentative de suicide de son père, des années plus tôt, qui ne voulait pas devenir dépendant mais a échoué à mourir.

«Moi-même, j’en ai acheté avec une amie»

La présidente a tout de même voulu recentrer son témoignage sur la circulation du produit illicite : d’où venait-il ? D’une veuve, adhérente d’Ultime Liberté, qui a «vendu» la dose inutilisée par son mari, finalement mort à l’hôpital. «A Nantes, nous [les adhérents d’Ultime Liberté, ndlr] étions nombreux à en posséder…» Vu le prix, «500 euros les 30 grammes», autant ne pas gâcher un produit «inutilisé». «Moi-même, j’en ai acheté avec une amie», lâche André, désinvolte. «Vous en avez toujours ?» La septuagénaire opine. «Si vous voulez [faire une perquisition], c’est en désordre chez moi !» Rires dans la salle.

La veille, la procureure avait insisté sur la position du ministère public : ne pas faire de ce procès un débat sur la fin de vie. Mais avant que ne soient interrogés les prévenus, force est de constater que les auditions des témoins se sont essentiellement concentrées sur la liberté de choisir sa mort. Frédéric Verra et Arnaud Levy-Soussan, avocats d’Ultime Liberté et d’une grande partie des prévenus qui ne cachent pas «l’enjeu symbolique» que représente pour eux ce procès, ont été les seuls à les questionner, en dehors de la présidente. En particulier sur les raisons qui peuvent pousser à vouloir acquérir illégalement ce produit létal. A André et Valérie, maître Verra a posé la même question : «S’il y avait eu un dispositif légal comme celui qui n’attend que d’être voté par le Sénat, elle y aurait eu recours ?» Les deux femmes ont acquiescé avec vigueur.