Samuel Paty a été décapité le 16 octobre 2020 près de son collège des Yvelines. Ce vendredi 13 octobre au matin, presque trois ans jour pour jour après son assassinat, c’est un professeur de français qui a été tué, au lycée Gambetta-Carnot d’Arras (Pas-de-Calais). Un homme d’une vingtaine d’années fiché S pour radicalisation est entré dans l’établissement armé d’un couteau. Il a poignardé un prof de français et blessé gravement deux autres personnes. «Allah Akbar», a-t-il crié, avant d’être interpellé.
Des élèves du lycée Gambetta-Carnot, en cours au moment de l’attaque dans leur établissement, et un passant témoignent auprès de Libération, entre stupeur et incompréhension.
A 11 heures ce vendredi, Nathan, 17 ans et en terminale, venait de démarrer son cours de philosophie, au 6e étage du bâtiment. Des élèves de sa classe ont entendu du bruit. «On a regardé dans la cour et, de l’autre côté, on a vu des gens confinés dans la cantine, en face.» Dans la foulée, une alarme s’est déclenchée. «On nous a demandé de rester en classe pendant une heure, la police est arrivée, nous a dit qu’elle allait évacuer tout le monde.» Si la menace a été levée, la peur demeure : «On est marqués par ce qu’il vient de se passer. Je ne sais pas qui est le professeur de français touché. C’est la panique. On est tous au téléphone avec nos familles, on échange sur les réseaux sociaux pour comprendre ce qu’il y a eu exactement.»
«On a entendu une fille passer en courant dans le couloir crier “y a un gars avec un couteau dans la cour”, décrit Lénaïck, élève de 15 ans actuellement en première. Nous, on ne voyait pas la cour depuis notre salle.» L’enseignante de la jeune fille, qui «pense que c’est une blague», sort de la salle pour comprendre ce qui se passe. Mais une autre enseignante lui a confirmé l’information. Elle est donc revenue demander à ses élèves de se barricader et de se mettre contre le mur. «On a mis des tables contre la porte pour qu’on ne puisse plus l’ouvrir. Peu après, l’alarme a commencé à sonner. Tout le monde était très stressé. Au bout d’un moment, ma prof s’est mise à pleurer.» L’enseignante a lâche : «C’est M. Bernard, il est décédé.» «Je ne le connaissais pas», fait savoir Lénaïck. En revanche, elle a appris qu’un prof de sport qu’elle a eu pendant plusieurs années avait été gravement blessé. «C’était un prof très sympa, toujours très gentil. Il était assez investi, il voulait qu’on réussisse.»
Après deux heures de confinement, «un surveillant est venu nous donner deux bouteilles en d’eau en nous disant que c’était terminé, que l’agresseur avait été interpellé». Dix minutes plus tard, les élèves ont été libérés. «On a croisé un policier dans l’escalier qui nous a rassuré. Puis, en sortant par l’arrière du lycée, il y avait plein d’autres policiers. On nous a dit d’appeler nos parents, et ma mère est venue me chercher.»
Profil
Clara, elle, était en train de descendre dans la cour pour rejoindre la cantine au moment de l’attaque. Dans les escaliers, ça se bousculait, et l’élève de 14 ans est restée coincée à une fenêtre, d’où elle a tout vu. «On voyait les gens courir vers le lycée. On se demandait ce qui se passait, relate la jeune fille, qui poursuit : Des élèves criaient «barricadez-vous, il a un couteau !». Je suis remontée dans ma classe. C’est mon prof de sport qui a été blessé, je l’ai vu face à l’agresseur. J’ai vu le couteau et j’ai vu mon prof touché.»
Stéphane (1), la trentaine, passait devant la cité scolaire au moment où le premier camion de pompiers est arrivé. «Il était à terre sur le parvis, en train de se vider de son sang», raconte le jeune homme sous le choc, qui dit avoir vu les secours installer l’enseignant sur un banc pour lui prodiguer les premiers soins. Il ne survivra pas à ses blessures.
Sécurité renforcée
Samuel, 19 ans et étudiant en prépa au lycée Gambetta-Carnot, se trouvait dans les locaux Carnot, de l’autre côté de la rue. «Nous, on n’a pas pu voir ce qu’il s’est passé, explique le jeune homme. Tout s’est passé à Gambetta, dans un autre bâtiment, dans une autre cour.» Comme Nathan, il a entendu l’alarme intrusion sonner «aux alentours de 11 h 10» alors qu’il était en cours. «Nous avons suivi le protocole, qui consiste à se confiner dans nos salles. Tout s’est bien passé. Nous sommes restés environ une heure. Puis on nous a réunis avec les autres classes et les professeurs du lycée Carnot dans une grande salle», avant d’être relâchés à 13 h 05.
Aussitôt après l’attaque d’Arras, les ministres de l’Education nationale et de l’Intérieur, Gabriel Attal et Gérald Darmanin, ont demandé de renforcer immédiatement la sécurité de tous les établissements scolaires en France. «Sans délai.»
(1) Le prénom a été modifié.
Mise à jour : ajout ce vendredi 13 octobre à 15 h 09 des témoignages de Clara et de Stéphane. Ajout ce vendredi à 16 h 40 du témoignage de Lénaïck.