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Libération
Le point sur l'enquête

Insultes envers Allah, vidéos, suspect en fuite… que sait-on de l’assassinat d’un jeune musulman dans une mosquée du Gard ?

L’auteur de l’attaque, âgé d’une vingtaine d’années, a poignardé vendredi à plusieurs dizaines de reprises sa victime tout en prononçant des insultes blasphématoires, avant de comprendre qu’il était filmé par les caméras de surveillance de la mosquée.
Des gendarmes aux abords de la mosquée de La Grand-Combe, vendredi 25 avril. (Sylvain Thomas/AFP)
publié le 26 avril 2025 à 14h09
(mis à jour le 27 avril 2025 à 15h20)

Un homme a tué un fidèle de la mosquée de La Grand-Combe, près d’Alès, vendredi. Ce samedi 26 avril, Libération a visionné une vidéo que le suspect, toujours en fuite, a filmée lui-même et dans laquelle il insulte «Allah» avant de quitter la scène de crime.

Que s’est-il passé ?

Un fidèle musulman a été tué vendredi à coups de couteau par un homme, présenté alors par le parquet d’Alès comme un autre fidèle, à l’intérieur de la mosquée Khadidja, à La Grand-Combe. «Deux hommes étaient seuls à l’intérieur de la mosquée, occupés à prier, lorsqu’un des deux a porté plusieurs dizaines de coups de couteau à l’autre vers 8 h 30 du matin, avant de le laisser pour mort et de prendre la fuite», a expliqué le procureur de la République d’Alès, Abdelkrim Grini.

La victime aurait reçu «40 ou 50 coups de couteau», selon de premières constatations qui devront être précisées par l’autopsie, a-t-il également souligné. Le corps de la victime a été découvert «vers 11 heures, 11 h 30, lorsque les autres fidèles sont arrivés pour la prière du vendredi à la mosquée», a précisé le procureur d’Alès. Des fidèles ont ensuite appelé les pompiers, ceux-ci se chargeant ensuite de contacter la gendarmerie locale.

Que voit-on dans la vidéo filmée par le suspect ?

Libération a visionné une vidéo que le suspect a filmée après être passé à l’acte. Sur cette séquence de 27 secondes filmée du point de vue de l’auteur, on peut voir un homme au sol, habillé d’une veste de type camouflage militaire, d’un jean bleu et de ce qui ressemble à un qamis blanc, une tenue traditionnelle parfois portée par les hommes pour la prière musulmane.

Ce dernier gît au sol, avec d’importantes traces de sang sur le qamis, le jean, sur les mains et sur le buste. Il est vivant mais respire avec énormément de difficultés. On aperçoit les chaussettes blanches de l’auteur de la vidéo, ainsi qu’un grand couteau qu’il tient dans sa main droite ensanglantée et qu’il montre en évidence à la caméra. «Je l’ai fait», dit-il avant de s’approcher de la victime qui semble gravement blessée au visage et de lancer : «Ton Allah de merde !»

Le suspect fait le tour de la victime avant de crier, toujours le couteau à la main : «Je lui ai planté ses fesses !» A ce moment, il semble se rendre compte de la présence d’une caméra de surveillance dans la pièce. «Rah, je vais être arrêté, c’est sûr. Il y a une caméra.» Il filme l’opposé de la pièce, là où est censée se trouver cette caméra. Essoufflé, il s’écarte de l’homme au sol, se demande s’il y a «un bureau ou pas ?», se retourne encore une fois vers la victime et crie de nouveau : «Ton Allah de merde ! Enculé.»

Il se redirige vers le corps immobile de la victime puis coupe la vidéo.

Où en est l’enquête ?

Contacté ce dimanche par Libération, le procureur de la République d’Alès, Abdelkrim Grini, indique que «l’enquête avance toujours» et que la «priorité des priorités est évidemment d’interpeller l’auteur présumé compte tenu de la gravité de faits qui lui sont reprochés, compte tenu également de l’émoi que cela a causé». Le procureur insiste sur le «risque de réitération d’un passage à l’acte». «Dans le cadre de la vidéo qu’il a prise à la suite des coups de couteau portés sur la malheureuse victime, il laisse entendre qu’il souhaite tuer à nouveau.»

Si les enquêteurs ne ferment aucune porte, l’hypothèse «la plus vraisemblable et sur laquelle on travaille le plus, c’est celle à caractère raciste, voire à caractère islamophobe», ajoute le procureur de la République. A l’AFP, Abdelkrim Grini précise ce dimanche, dans l’après-midi, que la piste «la piste d’un acte antimusulman est privilégiée mais n’est pas la seule.»

Selon nos informations, plusieurs dizaines d’enquêteurs de la police nationale mais aussi de la gendarmerie nationale son actuellement mobilisés dans ce que qu’Abdelkrim Grini appelle une «véritable chasse à l’homme». «Cela fait 48 heures qu’on travaille d’arrache-pied pour essayer de le localiser et de l’interpeller. On espère pouvoir le faire très rapidement, c’est une question de temps. J’espère que ce temps ne sera pas trop long.»

Les recherches sont qualifiées de «discrètes» et le parquet ne souhaite pas détailler les moyens d’investigation pour le moment.

Le procureur de la République confirme également auprès de Libé que deux gardes à vue ont eu lieu à cette heure et qu’elles ont été levées. Le petit frère du suspect, mineur, a été entendu samedi avant d’être relâché en fin de journée. Une autre personne, mineure également, a été interpellée samedi dans le nord de la France. «Il lui était reproché d’avoir été un moment en contact avec l’auteur présumé peu avant la commission des faits, précise le procureur de la République. Rien n’a été retenu contre cette personne pour le moment, elle a également été remise en liberté.»

Concernant le profil du suspect, les enquêteurs n’ont retrouvé aucun élément qui aurait pu faire penser qu’il allait passer à l’acte. L’homme de 20 ans est né en France, à Lyon, et serait d’origine bosnienne. Abdelkrim Grini répète que le suspect est considéré comme étant «extrêmement dangereux parce que le visionnage des enregistrements des caméras de surveillance de la mosquée montre qu’il a agi avec beaucoup de sang-froid et de détermination. Il a porté sur la victime quasiment une quarantaine de coups de couteau». Selon le procureur, le suspect «revendique son acte et s’en glorifie même».

Concernant les pistes, les enquêteurs ont d’abord évoqué le scénario, repris dans la presse, d’un fidèle qui aurait tué un autre fidèle. «Vendredi, lorsqu’on visionne d’abord de manière un peu rapide les enregistrements de la mosquée, nous voyons deux personnes en train de faire une prière. Pour nous, à ce moment, ce sont deux fidèles», justifie le procureur de la République auprès de Libération. Ce n’est qu’après avoir visionné la vidéo filmée par le suspect que les enquêteurs comprennent qu’il ne connaissait pas la victime. La prière de l’auteur présumé était «manifestement un stratagème pour entrer en contact avec la victime et la mettre en confiance». Ce qui laisse penser aux enquêteurs que l’acte était prémédité, d’où la requalification de meurtre à assassinat dans la journée de samedi.

Concernant la victime, plusieurs témoins ont indiqué dans Midi Libre qu’elle s’appellerait Aboubakar, serait de nationalité malienne et serait née en 2003. Il habitait dans le quartier de Trescol, non loin de la mosquée Khadidja où a eu lieu l’attaque et était venu tôt ce vendredi pour faire le ménage dans le lieu de culte.

Quelles sont les réactions ?

Vendredi, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, a dit sur X espérer que «l’enquête permettra d’appréhender rapidement l’auteur et de faire la lumière sur cet évènement épouvantable». «Je veux dire mon soutien à la famille de la victime et ma solidarité à la communauté musulmane touchée par cette violence barbare, dans son lieu de culte, le jour de la grande prière.»

De son côté, le Garde des sceaux, Gérald Darmanin, a déploré sur le même réseau social «l’ignoble assassinat qui s’est déroulé dans une mosquée dans le Gard, blesse le cœur de tous les croyants, de tous les musulmans de France». Avant de partager ses «sincères pensées à la famille de la victime et confiance dans la justice pour retrouver et juger l’auteur de cet acte inqualifiable dans un édifice religieux sacré».

Le Premier ministre, François Bayrou, a dénoncé sur X dans la soirée «l’ignominie islamophobe», qui «s’est exhibée sur une vidéo». «Nous sommes avec les proches de la victime, avec les croyants si choqués. Les moyens de l’État sont mobilisés pour que l’assassin soit saisi et puni.»

Avant le chef du gouvernement, plusieurs personnalités du Nouveau front populaire (NFP) s’étaient déjà emparées du sujet. A commencer par Jean-Luc Mélenchon, qui a dénoncé sur X : «L’islamophobie tue. Tous ceux qui y contribuent sont coupables.»

Le leader insoumis répondait à une publication du député NFP du Rhône, Abdelkader Lahmar. «A mesure que l’enquête avance, la piste d’un crime islamophobe se confirme. Ce matin, nous apprenons que l’auteur du crime s’est filmé après son geste, insultant la foi de sa victime, a déploré l’élu. Ce drame n’est pas un fait isolé : il est le produit direct d’une islamophobie qui gangrène notre société.» Avant de pointer le rôle que jouent des «médias, éditorialistes, pseudo-intellectuels, responsables politiques». «Tous ceux qui attisent la haine des musulmans ont du sang sur les mains. En dressant une cible sur le dos de nos concitoyens musulmans, ils nourrissent ce climat mortifère.»

«La République ne peut accepter que nos concitoyens de confession musulmane subissent un climat de peur», a insisté à son tour le maire socialiste de Montpellier, Michaël Delafosse, en dénonçant «un acte ignoble motivé par le racisme et l’intolérance».

Dimanche en début d’après-midi, le président de la République a réagi, à son tour, sur X. Emmanuel Macron a assuré que «le racisme et la haine en raison de la religion n’auront jamais leur place en France». «La liberté de culte est intangible», a insisté le chef de l’Etat. Il a également adressé «le soutien de la Nation» à la famille de la victime et «à nos compatriotes de confession musulmane».

Combien d’actes antimusulmans en France ?

D’après les données transmises à CheckNews par le ministère de l’Intérieur, un total de 173 faits antimusulmans ont été recensés en 2024. Le nombre de faits antimusulmans était de 242 en 2023. Dans le détail, sur les 173 actes antimusulmans comptabilisés en 2024, 52 % étaient des atteintes aux biens et 48 % des atteintes aux personnes. Beauvau ajoute auprès de Libération que les chiffres du premier trimestre 2025 ne sont «pas encore consolidés».

Mise à jour dimanche à 14 h 25, ajout d’éléments nouveaux sur l’enquête obtenus auprès du procureur de la République ; à 15 h 15 avec la réaction d’Emmanuel Macron