Le suivi d’Armand Rajabpour-Miyandoab, auteur de l’attentat de samedi à Paris, a-t-il fait l’objet «d’un ratage psychiatrique», comme l’a asséné ce lundi Gérald Darmanin sur le plateau de BFM TV ? Ou s’inscrit-il simplement dans le cadre légal ? Le Franco-Iranien de 26 ans qui a tué à l’arme blanche un touriste germano-philippin de 23 ans et blessé deux autres personnes avec un marteau était depuis longtemps sur les radars des services antiterroristes. Il était aussi connu pour ses troubles psychiques. Condamné pour la première fois en 2018 à cinq ans de prison dont un avec sursis pour «association de malfaiteurs terroriste» en 2016, il a fait l’objet tout au long de sa détention d’un traitement médical psychiatrique prolongé après sa sortie, en mars 2020. Dès la fin de son incarcération, il est soumis, dans le cadre de son suivi sociojudiciaire, «à une injonction de soin impliquant un suivi psychiatrique resserré et contrôlé par un médecin coordonateur» a précisé dimanche le procureur antiterroriste Jean-François Ricard. Certes, en mars 2022, en accord avec son médecin, il stoppe sa prise de médicament, selon une source sécuritaire citée dans le Monde et le Parisien. Mais le Parquet national antiterroriste (Pnat) demande dans la foulée une nouvelle expertise psychiatrique, laquelle recommande à nouveau une injonction de soins. Le juge d’application des peines l’ordonne le mois suivant.
«L’intitulé radicalisation ne suffit pas à dire qu’il y a des pathologies psychiatriques»
La période de mise à l’épreuve de l’assaillant s’est achevée le 26 avril 2023 et, avec elle, l’injonction de soins prononcée par la justice. «Une fois qu’un individu a purgé sa peine, la justice n’a plus de raison de s’intéresser à lui», rappelle Cécile Mamelin, vice-présidente de l’USM, principal syndicat de magistrats. Armand Rajabpour-Miyandoab continue d’être surveillé notamment par le biais d’une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance (Micas). Décrétées par les préfets, «aux seules fins de prévenir la commission d’actes de terrorisme», comme en dispose l’article L228 du code de sécurité intérieure, les Micas permettent depuis 2017 d’imposer des obligations de pointage, une interdiction de sortie d’un territoire et des interdictions de contact. En revanche, l’autorité administrative ne peut en aucun cas prononcer d’obligation de soins à travers ce dispositif. La mère de l’assaillant avait signalé fin octobre son inquiétude concernant le comportement de son fils, qui «se refermait sur lui-même», a indiqué Jean-François Ricard. Mais Armand Rajabpour-Miyandoab n’avait jusqu’alors commis aucune infraction qui aurait permis de l’interpeller. Ses troubles psychiques n’étaient pas non plus assez importants pour justifier une hospitalisation d’office ordonnée par l’autorité administrative. Il aurait pu être hospitalisé à la demande d’un tiers mais sa mère aurait refusé cette issue, selon les déclarations de Gérald Darmanin.
Il n’existe pas de dispositif d’injonction de soins spécifique au terrorisme. Et pour cause, «l’intitulé radicalisation ne suffit pas à dire qu’il y a des pathologies psychiatriques», rappelle Laurent Layet, président de la Compagnie nationale des experts psychiatres près les cours d’appel. Le cadre est le même que celui appliqué en droit commun : sur la base d’une expertise psychiatrique, cours d’assises ou tribunaux peuvent prononcer un suivi sociojudiciaire comportant une injonction de soins. Cette dernière peut remplacer une peine, ou bien être une peine complémentaire. Ce suivi «a un cadre réglementaire et une durée», ajoute Laurent Layet. Il ne peut durer plus de dix ans pour les condamnations pour un délit, vingt ans pour une condamnation pour crime. Pour les crimes punis de trente ans, il peut aller jusqu’à trente ans. A chaque fois, un médecin coordonateur est nommé.
«La justice ne peut pas être prédictive»
Ce médecin n’est pas soumis au secret médical. Il rencontre plusieurs fois par an la personne condamnée et rend compte de son évolution à la justice. Selon une source policière citée par le Monde, le médecin coordonateur chargé d’Armand Rajabpour-Miyandoab, dans son dernier rapport du 21 avril, n’avait «identifié aucune dangerosité psychiatrique» et «ne concluait pas à la nécessité de reprendre le traitement». «Les personnes radicalisées sont capables d’avoir un double visage, de mentir. La justice ne peut pas être prédictive», insiste Cécile Mamelin de l’USM. Gérald Darmanin a expliqué qu’il souhaitait que les préfets puissent imposer des soins en dehors de toute procédure judiciaire et sans certificat médical. «Depuis les attentats de 2015, on assiste à un basculement du droit pénal vers le droit administratif, pour lequel on ne dispose pas des mêmes garanties», regrette l’avocate Lucie Simon, spécialiste des libertés publiques, qui craint que le ministère de l’Intérieur «ne renforce ses propres prérogatives au détriment de la justice».