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Investigations

Attentat d’Arras : les révélations de l’enquête sur le jeune terroriste

Basés sur plusieurs documents audios et auditions que s’est procurés «le Parisien», les premiers éléments de l’enquête qui documentent la forte radicalisation de Mohammed Mogouchkov et une attitude désinvolte devant les enquêteurs.
La police scientifique à l'œuvre devant le parvis du lycée Gambetta à Arras, après l'attaque au couteau qui a coûté la vie à un professeur de français, le vendredi 13 octobre 2023. (Michel Euler/AP)
publié le 20 novembre 2023 à 12h41

Lors de ses 96 heures de garde à vue, Mohammed Mogouchkov n’a pas expliqué les raisons de son acte, l’attaque au couteau qui a coûté la vie à Dominique Bernard, professeur à Arras. Il a préféré le mutisme, les provocations ou les prières coraniques. Plus d’un mois après le drame, le Parisien publie lundi 20 novembre des informations sur le profil de l’attaquant et le scénario qui s’est joué le vendredi 13 octobre, se basant sur plusieurs documents relatifs à l’enquête – auditions, document audio, témoignages de l’entourage.

Au chapitre «provocations», le jeune homme a lancé aux policiers : «Vous m’avez manqué, nan, je rigole !» mais surtout, «Je ne souhaite pas m’exprimer pour l’instant». Autre certitude : l’attaque était «minutieusement conçue depuis plusieurs semaines, voire mois». On apprend qu’il avait écrit à deux contacts ces messages prophétiques : «Al Arassi, Arras» et «Soon very soon (bientôt, très bientôt)». Selon le Parisien, il s’agirait «d’individus russophones radicalisés».

Lors d’une autre audition, un professeur d’EPS blessé au couteau dans la cour relate l’épisode, glaçant. «Il a commencé à parler en ces termes :Qui te donne l’air que tu respires ? Qui est le seul Dieu ?” […] Je lui ai posé la question : Qu’est-ce que tu veux, Mohammed, que je me convertisse ? Je lui ai parlé de mes enfants, etc.”»

«Pourquoi ne te vois-je pas te prosterner ?»

Les enquêteurs ont en outre mis la main sur un audio enregistré par l’assaillant avant l’attaque. Une longue diatribe anti-française de 13 minutes et 54 secondes, en pièce jointe d’un e-mail qui devait être adressé à plusieurs médias français à 10h59 le jour de l’attentat mais le document n’a jamais été envoyé.

Dans cet enregistrement, Mohammed Mogouchkov se présente sous le surnom de combattant «Abou Ibrahim Mohammed Al-Arrassi Al-Caucasi (Mohammed, originaire d’Arras et du Caucase)», prête allégeance à l’Etat islamique, justifie «l’égorgement des mécréants». Il invective notamment le président de la République : «Oh, écoute-moi Macron, pourquoi je ne te vois pas croire en Allah, le dominateur suprême ? Pourquoi ne te vois-je pas te prosterner ?»

La France y est dépeinte comme un «pays de la lâcheté, de l’ignorance et du polythéisme». Aussi : «Ô vous Français, vous vous adonnez au plaisir interdit, à l’homosexualité, vous avez des relations sexuelles avec des hommes en dehors des femmes. J’ai étudié dans vos écoles, vous m’avez appris ce qu’est la démocratie, la République, les droits de l’Homme. Vous me poussiez vers l’enfer. Vous m’invitiez à mécroire en Allah. Ceux qui invitent à cela sont destinés au feu de l’enfer !»

Selon son entourage, il vouait par ailleurs une fascination pour les jihadistes célèbres, dont Mohamed Merah et Abdoullakh Anzorov, l’assassin de Samuel Paty, dont il aimait raconter «comment l’attentat s’était passé» et montrer «les couteaux qu’il a utilisés».

Il haïssait les profs d’histoire

Son frère cadet évoque le ressenti qu’il exprimait à propos de son ancien établissement scolaire. «Il parlait du directeur en mode il l’aimait pas. Il lui en voulait. Mohammed avait le sentiment que le directeur lui avait imposé des valeurs, pour lui, c’était de la propagande», a confié l’adolescent de 17 ans aux enquêteurs. Selon ce même frère, le terroriste présumé haïssait «les professeurs d’histoire», coupables à ses yeux d’avoir défendu «la liberté de la presse et l’idée qu’on puisse faire des caricatures» au moment de l’affaire Samuel Paty.

Fiché pour radicalisation islamiste depuis février 2021, Mohammed Mogouchkov avait par ailleurs été l’objet d’une enquête judiciaire fin 2022, soupçonné d’avoir exercé des violences sur l’une de ses petites sœurs, partisane d’un islam trop modéré à son goût. Il l’avait déscolarisée de force du groupe scolaire Gambetta, critiquant l’établissement concernant l’interdiction du port du voile étendue cet été au port de l’abaya par le tout nouveau ministre de l’Education, Gabriel Attal. «Mohammed n’était pas content sur la réforme des abayas, il disait que la France est islamophobe», s’est souvenu un cousin en garde à vue.