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Libération
Les suites

Attentat d’Arras : où en est l’enquête sur l’assassinat du professeur Dominique Bernard ?

Un an après l’assassinat de Dominique Bernard à Arras, dans le Pas-de-Calais, trois jeunes hommes sont toujours mis en examen. Les juges antiterroristes étudient les responsabilités de chacun d’entre eux dans cet attentat où, fait rare, l’assaillant est encore en vie.
A Nice, sur la place Garibaldi, des gerbes de fleurs en hommage à Dominique Bernard, le 16 octobre 2023. (Roland Macri/Hans Lucas. AFP)
publié le 10 octobre 2024 à 20h44

Le 13 octobre 2023, Mohammed Mogouchkov se rend dans son ancien lycée et poignarde l’un de ses ex-professeurs, Dominique Bernard. Ce jeune Russe originaire d’Ingouchie blesse également un professeur d’EPS et deux employés de l’établissement, avant d’être interpellé. Douze autres personnes sont placées en garde à vue, dix relâchées faute d’élément : la mère de l’assaillant, son frère aîné, un prisonnier radicalisé… Mais Mohammed Mogouchkov, son cadet et son cousin sont mis en examen, et restent, un an après l’attentat, les seuls poursuivis, alors que se tient, dimanche 13 octobre à Arras, une cérémonie d’hommage, en présence des ministres de l’Intérieur Bruno Retailleau et de l’Education Anne Genetet.

L’assaillant présumé a été mis en examen le 17 octobre pour assassinat et tentatives d’assassinat en relation avec une entreprise terroriste, ainsi que pour association de malfaiteurs terroriste criminelle. Lors de trois interrogatoires, il a assuré avoir volontairement ciblé le professeur de français Dominique Bernard, car il enseignait «l’une des matières où on transmet la passion, l’amour, l’attachement du système en général de la République, de la démocratie, des droits de l’Homme». «La particularité de cet attentat est que l’assaillant est encore en vie et revendique une contestation violente des valeurs républicaines. On assiste à une focalisation assez nouvelle, de la part de la mouvance islamiste, sur l’école de la République», a estimé l’avocat Richard Malka, qui représente l’épouse de Dominique Bernard.

Un plan solitaire

Lors de l’enquête, Mohammed Mogouchkov a répété avoir agi seul, en élaborant un plan «une à trois semaines» avant l’attentat. «C’est Allah, c Lui Seul, qui m’a commandité. […] Le Coran, si chaleureux, c lui qui m’a chauffé, ses pages, ses versets [sic]», écrit-il notamment dans un poème fleuve qu’il a rédigé en prison et que l’AFP a pu consulter. Mais l’enquête ne s’est pas centrée uniquement sur le jeune Russe. Son frère, aujourd’hui âgé de 17 ans, est poursuivi pour complicité d’assassinat et de tentatives d’assassinat en relation avec une entreprise terroriste, ainsi que pour association de malfaiteurs terroriste criminelle. Il est également écroué.

Principal élément à charge : il possédait un couteau et a confié en octobre aux enquêteurs avoir répondu aux questions de Mohammed sur son maniement «quelques semaines avant l’attentat». Il a aussi expliqué «parler de tout» avec Mohammed, même de décapitation. La veille de l’attentat, il a raconté avoir contacté son cousin, pensant que Mohammed Mogouchkov préparait une «action violente» ou un «départ pour le jihad» mais pas un attentat. En mai, il nuance devant le juge : «le stress» a «grossi mes propos».

Connexions téléphoniques

Leur cousin, aujourd’hui âgé de 16 ans et placé sous contrôle judiciaire, est poursuivi pour abstention volontaire d’empêcher un crime, accusé d’avoir été informé du projet et de ne rien avoir fait pour l’empêcher. Lui conteste : quand le frère lui a confié, le matin même, qu’il craignait que son aîné «Mohammed fasse de la merde», il a seulement pensé à un départ de Mohammed en Ingouchie. A la mi-août, la juge a rejeté sa demande de démise en examen.

Ces derniers mois, les enquêteurs ont entendu de nombreux témoins pour dessiner la personnalité des mis en cause, notamment des anciens professeurs et camarades de classe. En parallèle, les investigations techniques se poursuivent, pour «maîtriser l’ensemble des connexions distantes que [Mohammed Mogouchkov] a pu […] avoir par téléphone avec des personnes plus ou moins proches, dans le réseau relationnel mais aussi sur le plan géographique», a expliqué le procureur antiterroriste Olivier Christen, dans un entretien accordé mercredi à la Voix du Nord.

«Ces investigations concernent l’environnement familial, amical et numérique, en France et à l’étranger», a précisé une source proche du dossier. Les frères Mogouchkov étaient notamment en contact téléphonique avec leur père, fiché S pour radicalisation islamiste et expulsé de France en 2018. Après l’attentat, celui-ci a condamné l’acte de son fils auprès de l’AFP, tout en expliquant en vouloir à la France qui «déteste l’islam».

Par ailleurs, l’enregistrement dans lequel Mohammed Mogouchkov a prêté allégeance au groupe Etat islamique avant l’attentat a été envoyé «vers deux comptes Telegram administrés par l’EI», selon les enquêteurs. Le Parquet national antiterroriste a enregistré 25 parties civiles. Parmi elles, Isabelle Bernard, épouse du professeur. Fin décembre, elle a indiqué aux juges que son mari n’avait pas reçu de menace avant d’être tué. «J’apprends à vivre l’absence», avait-elle sobrement témoigné en audition.