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Libération
A la barre

Au procès des viols de Mazan, Jean-Pierre M., disciple de Dominique Pelicot : «J’ai été un violeur»

Seul accusé à ne pas être renvoyé pour avoir violé Gisele Pelicot mais sa propre épouse en la droguant, Jean-Pierre M. a reconnu les faits devant la Cour criminelle du Vaucluse, ce mercredi 18 septembre.
Devant la Cour criminelle du Vaucluse, à Avignon, le 5 septembre 2024. (Lewis Joly/AP)
publié le 18 septembre 2024 à 21h37

Sur la toile, il est Rasmus, Pierre, ou Kim, et serpente, depuis 2013 dit-il, sur des sites pornographiques, à la recherche de scènes de viols, «comme celles vécues par maman», violentée par des inconnus sous ses yeux d’enfant, alors qu’elle était ivre. Dans le box, il est Jean-Pierre M., 63 ans, accusé d’avoir violé sa femme, inconsciente, en suivant les conseils de Dominique Pelicot, lui-même présent au moins à dix reprises au moment des faits. Dans sa chemise mauve, le seul homme à ne pas être renvoyé pour avoir violé Gisèle Pelicot, mais sa propre épouse, ravale sa salive, tenant le plus souvent le micro des deux mains. «Je n’aurais pu violer aucune autre femme.» Au moins douze viols, souvent filmés, ont été dénombrés par les enquêteurs. Sa femme, Sonia (1), s’était efforcée, la semaine dernière, de décrire l’«inconcevable», cet anéantissement à la révélation des viols qu’elle a subis entre 2015 et 2018, sédatée par son mari à son domicile dans la Drôme. «Quand j’ai revu mon épouse, ici au tribunal, j’étais tétanisé. J’ai vu son regard, sa tristesse, mais je suis incapable de dire mes émotions», réagit Jean-Pierre M., ce mercredi 18 septembre, devant la Cour criminelle départementale du Vaucluse.

C’est après le décès de son père violent, en 2013, que Jean-Pierre M. aurait consulté pour la première fois le site Coco.fr, désormais fermé. C’est sur une tablette à l’abri des regards de ses enfants qu’il s’est forgé ces alias numériques. «Je ne suis pas allé sur “Coco” en me disant du jour au lendemain que j’allais violer mon épouse», lâche-t-il. Il assure être tombé d’abord «par curiosité» sur le salon «A son insu» – utilisé par Dominique Pelicot pour recruter des hommes dans le but de violer et faire violer sa femme, Gisèle. Il décrit une discussion dans un premier temps «normale» avec Dominique Pelicot, en 2015, avant qu’il ne lui «propose petit à petit son épouse», en exprimant, sur un «tchat privé», «très clairement qu’il cherche un homme pour son épouse endormie sous médicaments». Jean-Pierre M. refuse.

Son correspondant lui fait suivre des vidéos de viols de son épouse et propose finalement de reproduire le même protocole de soumission avec sa femme. Ce qu’il accepte. Dominique Pelicot lui fournit les comprimés et le mode d’emploi, à savoir des administrations d’anxiolytiques, en augmentant progressivement les doses, jusqu’à s’assurer de sa totale léthargie. Un réveil se produira, tout de même, une nuit de juin 2020. La semaine dernière, Sonia avait pu décrire à la Cour sa frayeur face à cet inconnu «à la fenêtre» et son désarroi à l’écoute des explications ubuesques de son mari. «Je n’aurais pas connu monsieur Pelicot, je ne serais jamais passé à l’acte. Il était rassurant et imposant. Il me rappelait mon père», s’est dédouané Jean-Pierre M., chez qui les experts ont pu relever une «inhibition». Dominique Pelicot a également incité d’autres hommes à reproduire ce système de violences. Lors de son expertise psychologique, Cédric G., 51 ans a, lui aussi, avoué avoir été à «deux doigts de lui transmettre sa femme».

Son «double»

Dominique Pelicot a trouvé en Jean-Pierre M. un disciple. Les deux hommes se répondent et agissent presque en miroir. Aux aveux nets du premier, formulés mardi«Je suis un violeur, comme ceux qui sont concernés dans cette salle» –, le sexagénaire a seulement ajouté sa touche de participe passé : «J‘ai été un violeur. […] un criminel et un violeur.» Il insiste : «J’ai été, j’ai été. Une femme ça se respecte.» Annabelle Montagne, chargée de son expertise psychologique, attestait jeudi dernier : «Il y a peut-être chez monsieur M. une recherche d’une sorte de modèle, d’un double, sur lequel se sont déployés ses fantasmes sur la scène réelle.»

Tout comme son «double», Jean-Pierre M. s’est longuement attardé sur son enfance chaotique et la convoque comme élément de bascule dans sa vie : une mère alcoolique, elle-même victime de violences sexuelles infligées par son mari qui décède à ses 23 ans d’une cirrhose, un père incestueux et le poids du «silence», de la «honte». Des violences intrafamiliales que ses sept enfants, nés de différentes unions, ainsi que son épouse n’apprendront que dans le cadre de cette instruction. «Il enjolive son enfance, disait toujours : “J’ai été élevé avec les cochons”», s’étonnait l’un de ses fils, la semaine dernière. Tandis que l’une de ses filles décrivait, comme lui, un «couple très soudé», «un très bon père».

«Je veux une punition dure»

Confronté à Jean-Pierre M., Dominique Pelicot l’élève presque au rang de frère de douleurs : «Il a vécu des choses beaucoup plus atroces que moi. On était liés par des choses très graves, je ne le savais pas, je regrette.» Dans un drôle de renversement des rôles, il insiste : s’il en avait eu connaissance, il aurait «refusé». Et, interrogé sur les questions qu’il aurait pu se poser vis-à-vis de la victime, l’architecte de ces violences ayant couru sur près d’une décennie reconnaît sans ambages sa déconsidération de la victime flirtant avec la déshumanisation : «Ça n’a pas été un obstacle.»

Si Jean-Pierre M. avait pu relever une certaine «passivité» lors de son expertise psychologique, Dominique Pelicot commente : «On s’est fait confiance, il a eu confiance en moi. Je le répète, je ne me suis pas imposé, je ne suis pas venu par la force.» Il se dit avoir été «un peu secoué» par le réveil de Sonia. «Je voulais m’excuser auprès de madame, je savais qu’il y aurait des problèmes derrière, qu’il y aurait une enquête.» Les deux hommes partagent désormais le même box, Jean-Pierre M. debout, tête baissée, regard fuyant. Dominique Pelicot enfoncé dans son siège. Autour d’eux, 35 hommes nient les faits. Jean-Pierre M., lui, réclame : «Ce que j’ai fait c’est horrible, je veux une punition dure.» Lors de son expertise, il demandait «la perpétuité». Il risque vingt ans de réclusion.

(1) Le prénom a été changé.