Dans la maison du bout du monde, tout est gris. Les murs sont grignotés par la tristesse qui forme de larges auréoles d’humidité, le sol est en béton brut, la lumière du plafond éclaire à peine les vieilles armoires en bois. La plus grande pièce a été baptisée «pièce à vivre» parce qu’on y mange – sur une grande table recouverte d’une toile cirée –, on y cuisine – sur une vieille gazinière –, on s’y réchauffe – au coin d’une cheminée à la gueule béante de suie – et on y dort – dans deux lits aux couvertures délavées. Dans l’autre, la toiture est partiellement effondrée, alors le ciel s’invite à l’intérieur et les animaux de la ferme aussi, slalomant entre deux lits et un établi recouvert d’outils. La maison du bout du monde est perdue dans un hameau du Centre-Bretagne. Avec sa façade en vieilles pierres truffées de plantes saxicoles et sa porte bleu vif, elle semble susurrer «il était une fois». Le 19 mai 2021, vers minuit, des gendarmes ont longé l’étable, dépassé la carcasse d’une voiture rouillée et se sont arrêtés devant la porte d’où sortaient deux jambes inertes chaussées de bottes. Claude Renault avait 78 ans.
«Les trois frères pouvaient pas se blairer»
Il était une fois trois frères qui ne vivaient pas au diapason de la société. Dans la campagne alentour, on les connaissait bien, les trois Renault, «des personnages». Ils étaient «bloqués dans les années 30», dans «le monde d’avant», disait-on, en autarcie dans leur ferme de Coëcard, un lieu-dit à 30 kilomètres au sud de Lambal