C’est un revers pour le garde des Sceaux. Le Conseil d’Etat a annulé l’interdiction de toute activité «ludique» en prison, désavouant ainsi une circulaire publiée en février dernier par Gérald Darmanin. Dans une ordonnance publiée ce lundi, la plus haute juridiction administrative souligne qu’interdire ces activités serait en effet contraire au code pénitentiaire, qui prévoit pour les détenus condamnés l’organisation d’activités permettant leur réinsertion. Les activités dites «provocantes» - également concernées par cette circulaire - peuvent, elles, être légalement interdites si elles portent atteinte au respect dû aux victimes.
La plus haute juridiction administrative a également relevé que si le garde des Sceaux pouvait fixer les conditions d’exercice des activités proposées par l’administration pénitentiaire, il ne pouvait «interdire, par principe des activités conformes au code pénitentiaire, simplement parce qu’elles auraient un caractère ludique».
Dans le sillage d’une polémique autour de soins du visage que se prodiguaient entre eux des détenus de la maison d’arrêt de Toulouse-Seysses, le garde des Sceaux avait annoncé à la mi-février avoir ordonné l’arrêt de toutes les «activités ludiques» en prison qui ne concernent pas l’éducation, la langue française ou le sport. Dans une lettre au directeur de l’administration pénitentiaire, le ministre avait insisté sur le fait que la mise en œuvre des activités en détention devait prendre en compte le «sens de la peine» et le «respect des victimes». «Aucune de ces activités ne peut être ludique ou provocante», ajoute le texte, sans plus de précisions.
A lire aussi
Dans son ordonnance de ce lundi, le Conseil d’Etat a donc décidé d’annuler la mention «ludique ou» présente dans l’adresse du garde des Sceaux. Et de conserver le terme «provocante», tout en l’encadrant d’une définition précise. La juridiction administrative précise que seules pourront être interdites les «activités qui sont, en raison de leur objet, du choix des participants ou de leurs modalités pratiques, de nature à porter atteinte au respect dû aux victimes».
Plus de 150 activités supprimées depuis février
Dans la foulée de cette annonce, Nicolas Ferran, responsable du Pôle contentieux à l’Observatoire international des prisons (OIP) à l’origine de cette saisine, a salué auprès de Libération «une victoire incontestable et un désaveu total pour Gérald Darmanin». «Même si le Conseil d’Etat n’annule pas le volet dit des activités provocantes, il réduit drastiquement les hypothèses dans lesquelles cette notion peut être mobilisée. Il ne s’agit pas d’une annulation en tant que telle, mais d’une restriction si encadrée qu’elle vient presque complètement neutraliser cette possibilité.»
Selon Nicolas Ferran, la question est maintenant de savoir «comment cette décision va se répercuter sur l’administration pénitentiaire», alors que, selon un décompte réalisé par l’OIP, plus de 150 activités pour les détenus ont été supprimées depuis la publication de cette circulaire, dans plus de 70 établissements. Des séances de yoga, des sessions de jeux de société ou des activités de médiation animale ont ainsi pu être retoquées au titre de leur aspect «ludique».
«On va maintenant s’employer à surveiller la façon dont les activités seront rétablies dans les établissements», complète le responsable de l’OPI, qui ajoute avoir déjà engagé des actions en justice contre plusieurs de ces annulations.
Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, se réjouit, elle aussi, auprès de Libé de cette ordonnance du Conseil d’Etat qui met fin à «cette décision catastrophique de Gérald Darmanin [...] Lui-même savait qu’il était allé trop loin.» Dominique Simonnot souligne toutefois qu’il est «aberrant de se réjouir d’une décision qui consacre une décision de l’ordre de la normalité».