Il aura fallu dix ans de procédure, ne serait-ce que pour pouvoir envisager la tenue d’un procès. Ce mardi 6 mai, la Cour de cassation a confirmé la mise en examen de Vinci Construction Grand Projets (VCGP) dans son affaire de travail forcé au Qatar. L’instruction va donc enfin pouvoir suivre son cours, dix ans après la plainte initiale déposée par l’ONG Sherpa, qui accompagne les travailleurs qui avaient vu leur santé se dégrader sur les chantiers de la Coupe du monde 2022. Et dont Libération avait longuement recueilli le témoignage.
Leurs récits entremêlés dessinaient le contour de journées de labeur infernales. Dans la chaleur étouffante du désert ou des tunnels à 45 °C, avec trop peu d’eau ou d’ombre et des mesures de sécurité insuffisantes, à l’origine d’évanouissements à la chaîne et de nombreuses blessures graves. A ces accidents de travail s’ajoutaient des conditions de séjour inhumaines, avec des logements inadaptés et un manque de nourriture.
Les travailleurs décrivaient aussi le piège tendu aux immigrés indiens et népalais majoritairement présent sur les chantiers de Doha : obligés de s’acquitter de sommes vertigineuses auprès des agences de recrutement pour l’obtention d’un poste, ils étaient ensuite coincés pendant des années dans ce cauchemar pour rembourser leurs dettes, parfois sans même la possibilité de récupérer leurs passeports. A moins d’être renvoyés chez eux à l’article de la mort. Pour ceux qui ne sont pas décédés sur place.
«Lutte contre l’impunité des acteurs économiques»
Mise en examen en 2022, Vinci avait déposé plusieurs recours pour obtenir son annulation, arguant que le juge français avait commis un excès de pouvoir et ne pouvait pas enquêter sur cette affaire internationale, dont les faits devraient être imputés à sa filiale Qatari Diar Vinci Construction. Aucun de ces arguments n’a été retenu, ni par la chambre d’instruction de Versailles en 2024, ni par la plus haute juridiction française aujourd’hui.
«En confortant le pouvoir d’enquête du juge français sur les agissements de la multinationale, la Cour envoie un signal très favorable à la lutte contre l’impunité des acteurs économiques, explique Laura Bourgeois, chargée de contentieux et de plaidoyer à Sherpa. Alors que Vinci espérait écarter des débats certains motifs de la plainte, cette décision permet à l’enquête de suivre son cours sur l’intégralité des infractions alléguées.»
Vinci Construction Grands Projets est donc poursuivi pour «réduction en servitude», «travail forcé», «conditions de travail et d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine» et «obtention de services en échange d’une rétribution manifestement sans rapport avec l’importance du travail accompli». Le juge d’instruction peut, s’il le souhaite, clore son information dès à présent et renvoyer Vinci pour qu’elle soit jugée. Auprès de Libération, Laura Bourgeois se réjouit : «après une décennie à batailler sur la forme, on se rapproche enfin du procès, des débats et d’une décision sur le fond. Et c’est une excellente nouvelle pour ceux qui espèrent obtenir réparation».