Il faisait encore très chaud malgré l’heure tardive, le 15 août dans le petit village creusois de Royère-de-Vassivière (500 habitants), à une petite cinquantaine de kilomètres au sud de Guéret, la préfecture. La fête du village s’était achevée, la buvette avait fermé. Quelques fêtards s’attardaient sur place quand a éclaté une altercation suivie de violences. Histoire tristement banale d’un bal qui s’achève sur un pugilat entre esprits échauffés par l’alcool ? Loin de là : selon les témoignages de victimes et d’habitants du village, sur les réseaux sociaux ou cités notamment par le quotidien régional la Montagne, c’est à une authentique chasse à l’homme raciste que se seraient livrés un groupe de locaux ce soir-là. Insultes racistes, coups, victimes poursuivies dans les rues du village en voiture… «Une chasse au noir» comme l’a souligné un témoin. Un élu local, membre du conseil municipal de la commune, et le président de la société de chasse du coin sont accusés de figurer parmi les auteurs des faits. Et l’histoire ne s’arrête pas là.
Le récit de la soirée a choqué les habitants du coin. Environ 300 personnes étaient rassemblées lundi soir sur l’unique place du village pour dire non à la violence raciste et soutenir leur concitoyen, frappé parce que noir et les six autres victimes qui ont tenté de le défendre. En marge du rassemblement, un groupe d’individus, soutenant les agresseurs, n’ont pas hésité à se livrer à des saluts nazis, selon des témoins, pour marquer leur désapprobation et à menacer de mort l’avocate des victimes, Me Colline Bouillon, qui a pris la parole pour défendre ses clients. «La prochaine fois on viendra avec les fusils et les cartouches», lui aurait lancé un homme.
Jointe par Libé, l’avocate a précisé qu’un total de sept plaignants ont déposé ou déposeront plainte aujourd’hui et dans les prochains jours suite à ces faits. Les motifs : «violence en réunion», «en état d’ivresse» et «à caractère raciste», ainsi que pour «injure publique et provocation à la violence et à la haine à caractère raciste». Le tout commis «par au moins un élu municipal» et «par préméditation et par guet-apens». Elle-même nous confirme qu’elle allait saisir la justice pour les menaces dont elle a été victime lundi soir, avec le soutien de trois personnes présentes au moment des faits en qualité de témoins.
Le parquet de Guéret a confirmé lundi après-midi qu’une «enquête était en cours», sans communiquer davantage d’éléments.
«Ils se sont tour à tour fait injurier, frapper, étrangler, pousser au sol»
«Toutes les victimes aujourd’hui sont dans un état de stress post-traumatique», a déclaré Me Bouillon lundi lors d’une conférence de presse. Selon elle, l’agression a commencé par des injures «à caractère raciste» à l’égard d’un jeune homme, seule personne noire de ce groupe d’amis. «Quand les amis ont essayé de calmer les agresseurs ou d’aider leur ami qui se faisait agresser pour des raisons racistes, ils se sont tour à tour fait injurier, frapper, étrangler, pousser au sol et une personne a perdu connaissance», a accusé l’avocate.
Les plaignants dénoncent aussi une «chasse à l’homme» lorsqu’ils ont tenté de quitter les lieux et ont été suivis par «un pick-up blanc», dont les occupants auraient proféré des menaces à l’égard de la personne noire.
Les mis en cause reconnaissent pour leur part une altercation sur fond d’alcool, mais nient toute intention raciste, selon le quotidien régional la Montagne et la radio ICI Creuse (ex-France Bleu), qui fait état de plaintes déposées pour diffamation. Le comité des fêtes, dont plusieurs des agresseurs présumés seraient membres, a dénoncé sur Facebook des faits «inacceptables» mais qui auraient été commis «alors que (la soirée) était terminée». Et d’assurer que ces «comportements inadmissibles ne sont pas l’œuvre de bénévoles et organisateurs pendant la fête, mais bien ceux de personnes agissant à titre privé, en dehors de l’évènement».
«Non, ce n’était pas une bagarre entre personnes alcoolisées»
Une version pour le moins différente de la première réaction de ce comité énoncé dans un premier temps par Cédric Lecomte, conseiller municipal et membre de l’association. Il avait initialement expliqué auprès de la Montagne : «A la fin de la fête vendredi soir, alors qu’on était en train de partir, on a vu un groupe d’une dizaine de jeunes qui squattaient, qui traînaient sur une table, et qui essayaient de piquer des gobelets. Ils ont commencé à nous jeter des bouteilles, et on ne s’est pas laissé faire. Ils sont partis en courant après. Mais oui, ça s’est engueulé, c’est sûr.»
«Non, ce n’était pas une bagarre entre personnes alcoolisées», a répondu lundi le jeune homme noir pris à partie ce soir-là, témoignant auprès de la presse sous couvert d’anonymat. «Nous avons vécu un tabassage en bande organisée, sous fond d’injures à caractère racial, et notre seule réponse possible était la fuite.» Les victimes se sont vues prescrire de six à quinze jours d’ITT, signe de la violence des faits, selon leur avocate qui précise à Libé que ses clients contestent toute violence de leur part.
Mise à jour à 12h40 avec l’article de nos journalistes.