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Libération
A la barre

Christian Estrosi au procès de l’attentat de Nice : «Il aurait fallu recourir à l’intelligence artificielle»

Procès de l'attentat du 14 juillet de Nicedossier
L’actuel maire de la ville, adjoint chargé de la sécurité en juillet 2016, était entendu auprès de la cour spécialement composée. Devant des parties civiles souvent agacées par ses discours, il a précisé n’avoir pas participé aux réunions préparatoires de la soirée et a défendu l’utilisation de la vidéoprotection.
Christian Estrosi lors d'une réunion du parti d'Edouard Philippe, Horizons, le 16 septembre à Fontainebleau (Seine-et-Marne). (Bertrand Guay/AFP)
publié le 20 octobre 2022 à 21h46

Le président l’a dit, répété, et souligné, dès le premier jour du procès de l’attentat de Nice, le 5 septembre : la cour d’assises spécialement composée n’est pas là pour juger le dispositif de sécurité qui entourait la promenade des Anglais, le 14 juillet 2016. Cette question pourtant lancinante – de manière très prévisible – occupait ce jeudi après-midi l’essentiel des débats. Et pour cause : à la barre, Christian Estrosi, 67 ans, costume bleu nuit et tempes grisonnantes, à l’époque premier adjoint au maire en charge de la sécurité, avant de redevenir lui-même édile de Nice l’année suivante. Comment un camion de 19 tonnes a-t-il pu délibérément foncer dans la foule en liesse rassemblée sur la plus belle avenue de la French Riviera, faisant 86 morts et des centaines de blessés ? Comment son chauffeur, Mohamed Lahouaiej Bouhlel, a-t-il pu effectuer une dizaine de repérages – à pied, à vélo, dans le poids lourd – en quatre jours sans être inquiété ? D’emblée, Estrosi précise qu’il n’a pas participé aux réunions préparatoires de la soirée.

«Fils de Nice»

«A posteriori, on peut toujours se demander pourquoi on n’a pas imaginé ce qui était alors inimaginable dans toute la France», a déclaré celui qui est aussi président du conseil régional de Provence-Alpes-Côte-d’Azur et vice-président du parti politique d’Edouard Philippe, Horizons. Il reprend, dans une salle d’audience plus investie que d’habitude par la presse et les parties civiles – souvent agacées par ses discours –, lève régulièrement les yeux de son texte posé sur le pupitre : «Mais de fait, aucune réunion de préparation ne l’avait envisagé. Et aujourd’hui, comme hier, rien n’empêcherait un camion fou d’attaquer la fouleRien, ou presque. Le témoignage de l’élu s’est parfois mué en plaidoyer en défense de la «vidéoprotection» et surtout de la «reconnaissance faciale».

Ce n’est un secret pour personne, ces thèmes sont les dadas de celui qui se présente en «fils de Nice» et parle de «sa» promenade des Anglais. Dès ses premiers pas à la mairie, en 2008, il impulse «un système de vidéoprotection à l’échelle de toute la commune». A cette époque, la ville ne compte que «280 caméras et aucune sur la promenade des Anglais». «En 2016, elle en compte 1 836 dont 21 sur la promenade des Anglais. Aujourd’hui elles sont près de 4 000 et il y en a 46 sur la promenade», énonce-t-il fièrement. Les images captées ont été «utiles» : «l’enregistrement de ces milliers d’heures a permis aux enquêteurs de retracer le parcours du terroriste».

Oui, sauf qu’elles n’ont pas permis d’anticiper le passage à l’acte et d’éviter le carnage. Les allées et venues du terroriste «n’ont pu être interprétées comme des repérages qu’après l’attentat», souligne-t-il, en devançant les questions de la cour. Impossible, selon lui, qu’elles soient détectées «par l’œil humain» tant les opérateurs doivent veiller sur un nombre important d’images en simultané. «Il aurait fallu recourir à l’intelligence artificielle mais ce recours nous est encore aujourd’hui interdit. Mais je le réclame depuis de nombreuses années, et depuis bien avant l’attentat», argue-t-il. «Imaginez que nous avons cette loi [qui autorise la reconnaissance faciale, ndlr]. Un voyant rouge peut s’allumer et nous demander de regarder ce qui se passe [quand l’algorithme estime que cela est nécessaire]. Si on n’a pas de voyant rouge qui s’allume, il est impossible de voir ce qui se passe», insiste-t-il encore, en répondant au président de la cour, Laurent Raviot. Oui mais voilà : la Commission nationale de l’informatique et des libertés avait estimé dans un avis rendu en 2019 que le recours à la reconnaissance facile était contraire à la loi «Informatique et libertés» de 1978, que le risque d’atteinte aux libertés fondamentales était trop important.

«Conclusions hâtives»

Si la cour n’est pas là pour juger le dispositif de sécurité, certaines questions sont inévitables. Quid des effectifs de la police municipale ? Des dispositifs de sécurité mis en place sur la promenade des Anglais ? Lors de leurs témoignages, de nombreuses parties civiles ont regretté un «allègement des mesures», au lendemain de l’Euro de football en partie accueilli par la ville. Christian Estrosi dégaine des photos d’un dossier en papier bleu, martèle qu’il n’y a eu «aucun relâchement». Certes, aucune glissière de sécurité en béton armé ne bordait ce soir-là l’avenue accueillant le feu d’artifice, mais «il n’a jamais été demandé à la ville d’en utiliser, ni pour la Prom Party, ni pour l’Euro 2016, contrairement à ce qui a été affirmé à de nombreuses reprises», se défend-il. Laurent Raviot, placide et minutieux dans ses questions, dit : «Je sais bien que rétrospectivement, c’est toujours facile de faire des commentaires, de tirer des conclusions hâtives.» Avant de rappeler l’objectif de ces interrogations, qui n’ont rien d’une invitation à une apologie sécuritaire : «Mon rôle, c’est de comprendre l’enchaînement d’opportunités qui va permettre à un individu de perpétrer une tuerie de masse.»