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Petit Poucet

Christy Kinahan, le narcotrafiquant recherché qui semait derrière lui une myriade d’avis Google

A la tête d’un célèbre cartel irlandais, Christopher Kinahan a publié ces dernières années des centaines d’avis internet sur des restaurants et des hôtels, laissant entrevoir ses allées et venues et son style de vie.
Christopher Kinahan en 2019 à Charm el-Cheikh, alors qu'il participait à la conférence mondiale sur l’aviation humanitaire. (Capture d'écran Youtube)
publié le 2 avril 2024 à 15h24

C’est l’un des hommes les plus recherchés au monde. Originaire d’Irlande, Christopher Kinahan Sr – aussi appelé «Christy Kinahan» – est le fondateur du célèbre groupe criminel Kinahan, une mafia spécialisée dans le trafic de drogue et d’armes à feu. Un cartel si puissant que le gouvernement américain promet une récompense de 5 millions de dollars à quiconque aiderait à l’arrestation de son parrain. Bref, Christy Kinahan est un très gros poisson que l’on imagine paranoïaque et obsédé par la discrétion. Pourtant, ces dernières années, le sexagénaire a laissé derrière lui une avalanche d’avis Google, selon un article publié sur le site d’investigation Bellingcat samedi 30 mars. De quoi permettre de récolter de précieuses informations sur ses déplacements.

Les avis sont tous laissés sous le même nom d’utilisateur : «Christopher Vincent», soit les premier et deuxième prénoms du narcotrafiquant. Au total, il aurait publié plus de 200 commentaires depuis 2019. «Le compte se vante de voyages internationaux en Espagne, en Hongrie, en Turquie, aux Pays-Bas, à Hong Kong, en Égypte, au Zimbabwe et en Afrique du Sud», détaille le site d’investigation en sources ouvertes. Christophe Kinahan n’hésiterait pas non plus à donner son avis sur divers établissements à Dubaï, où il résiderait depuis 2016.

Des «discussions d’affaires»

Hôtels de luxe, restaurants, bars, centres de dépistage pour le Covid-19… Tout y passe. Les commentaires sont souvent accompagnés de photographies, ou même de vidéos. Et si certains messages se contentent de commenter le service et la nourriture, d’autres révèlent des indices sur les récentes activités du criminel, à l’image de repas d’affaires. «Nous avons assisté à un magnifique coucher de soleil alors que nous partagions un verre et discutions d’affaires […]», écrit-il par exemple à propos d’un restaurant situé à Johannesburg, en Afrique du Sud, en 2021. «J’étais ici pour la 11e conférence mondiale sur l’aviation humanitaire soutenue par les Nations unies et le PAM. Le service et la nourriture étaient bons, tout comme les installations de conférence», écrit-il en 2019 à Charm el-Cheikh, en Egypte. Il est suspecté d’avoir voulu y acquérir des avions de transport de l’armée égyptienne.

En collaboration avec le Sunday Times, Bellingcat a pu confirmer que le profil était bien celui de Christopher Kinahan Sr. «Une adresse électronique associée au compte lui appartenait et était reliée à une adresse physique mentionnée dans des documents relatifs aux sanctions imposées par les États-Unis. Son reflet apparaît également dans des fenêtres ou des miroirs sur plusieurs des images publiées sur le profil», poursuit le site d’investigation en sources ouvertes.

Connu des services de police depuis les années 1970, Christy Kinahan a effectué plusieurs peines de prison en Irlande, aux Pays-Bas et en Belgique. Et il n’opère pas seul. Ses fils Christopher et Daniel font eux aussi partie du cartel. Ce dernier est le plus connu des deux : un temps proche du boxeur Tyson Fury, il avait monté une écurie de pugilistes et contribuait à organiser des combats dont on soupçonne qu’ils pouvaient servir au blanchiment d’argent. Selon la police irlandaise, le groupe criminel aurait accumulé au fil des années plus d’un milliard de dollars de profits grâce au trafic international de stupéfiants, au trafic d’armes et au blanchiment.

Réfugié à Dubaï

Le cartel – notamment connu pour sa rivalité sanglante avec l’organisation criminelle irlandaise Hutch – serait aussi impliqué dans au moins 20 meurtres en Belgique, en Irlande, aux Pays-Bas et en Espagne, à en croire un rapport d’Europol publié en mai 2022. De quoi arriver jusque dans le collimateur des Etats-Unis. Depuis l’annonce, en avril 2022, de la récompense promise par le gouvernement américain, aucun avis concernant des lieux situés en dehors des Émirats arabes unis n’a été publié. Car Christy Kinahan, après avoir vécu un temps sur la Costa del Sol espagnole, est réputé s’être réfugié à Dubaï.

Son dernier avis Google date du 29 mars 2023, donnant 4 étoiles à l’InterContinental Fujairah Resort, situé dans la ville de Fujairah. Deux ans plus tôt, il allait même jusqu’à commenter le «Département de l’économie et du tourisme» de Dubaï, où sont édités les pièces d’identité émiraties pour les nationaux et les résidents. Dans son avis, il assure qu’un des officiers de sécurité fut «très serviable en me guidant jusqu’à la machine et en me conseillant sur son utilisation. Sur la base de mon expérience lors de ma visite dans ce bureau, j’attribue 5 étoiles à cette visite.»

Pour l’heure, aucun traité d’extradition n’a été conclu entre l’Irlande et les Emirats arabes unis, malgré les pressions exercées par le gouvernement irlandais. Contactés par Bellingcat et le Sunday Times, ni Christophe Kinahan, ni un porte-parole du gouvernement de Dubaï, n’ont répondu aux sollicitations des médias.