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Libération
A la barre

Cinq ans après la mort de Steve Maia Caniço, sa famille parle pour la première fois au procès

En cinq ans d’enquête, la famille du jeune homme, mort lors d’une intervention policière à Nantes en juin 2019, ne s’était presque jamais exprimée. Pour le premier jour du procès du commissaire de police Grégoire Chassaing, qui a mené l’opération, le silence s’est rompu dans les larmes.
Au tribunal correctionnel de Rennes où s'est ouvert lundi 10 juin le procès du commissaire Grégoire Chassaing pour homicide involontaire. (Lou Benoist/AFP)
publié le 10 juin 2024 à 14h06
(mis à jour le 10 juin 2024 à 16h36)

«Perdre un enfant, c’est un manque tous les jours.» Avec son chemisier blanc, Béatrice D. détonne au milieu des robes noires. Le portrait de son fils défunt – bras croisé et air ravi – est projeté en grand format dans la salle d’audience. La présidente lui demande de le raconter. Mouchoir en main telle une compresse, la mère de Steve Maia Caniço se tient droite mais ses boucles blondes s’agitent : «Je pourrais en parler pendant des heures, mais je sais que le temps est compté.»

Le commissaire par une porte dérobée

L’audience se tient pendant cinq jours devant le tribunal correctionnel de Rennes. Lundi matin, les parties civiles sont rentrées en file indienne, par la grande porte, en silence. Elles ont été invitées à parler en premier, avant les témoins, avant les enquêteurs. Avant, aussi, le directeur général de la police nationale, Frédéric Veaux, cité par la défense pour soutenir Grégoire Chassaing. Le commissaire de police – qui est, lui, rentré par une porte dérobée – est renvoyé pour homicide involontaire et encourt trois ans de prison. Il dirigeait les opérations sur le quai Wilson, à Nantes, le soir de la fête de la musique 2019, au cours de laquelle Steve Maia Caniço est tombé dans la Loire. Pour trancher la culpabilité, ou non, du fonctionnaire, le tribunal s’emploiera cette semaine à répondre à deux questions : l’intervention policière a-t-elle causé cette chute ? Et, dans l’affirmative, est-ce que le prévenu a commis, dans sa gestion des événements ce soir-là, des fautes caractérisées ?

Comme ses amis à l’époque de sa disparition, aujourd’hui sa famille décrit Steve Maia-Caniço comme un «hypersensible», qui adorait ses amis, la musique, qui faisait du théâtre contre sa timidité, et qui détestait deux choses. D’abord, la violence. «Il a dû avoir peur du bruit, de la panique de la foule, de tous ces gaz lacrymogènes», pense sa mère. Si l’enquête a bien identifié la présence de l’animateur périscolaire sur le quai au moment des faits, les légistes n’ont toutefois pas trouvé de traces de lacrymogène dans le corps du jeune homme. Sans pour autant pouvoir exclure qu’il y avait été exposé, a pris le temps de rappeler la présidente du tribunal à l’ouverture du procès.

La Loire, fleuve maudit

L’autre phobie de Steve Maia Caniço est l’eau. Au point de mettre des bouchons d’oreilles et de se cantonner au petit bain quand il allait à la piscine, raconte la famille. L’imaginer se noyer «a provoqué chez moi des cauchemars incessants, pendant les premiers mois après sa mort et encore aujourd’hui», s’effondre sa mère. Qui a aussi, pendant un temps, refusé de regarder ou de traverser la Loire, ce fleuve qu’elle «maudissait». Béatrice D. dit ne pas attendre grand-chose de ce procès, qui vient «alourdir le traumatisme de sa perte» : «Ça ne ramènera pas notre fils. Mais c’est important pour son être, son honneur», et pour qu’il y ait à l’avenir «moins d’acharnement sur des jeunes qui ne sont que là pour danser».

Devant la presse, puis à nouveau dans la salle d’audience, le procureur de Rennes a voulu souligner la «grande dignité» de la famille de Steve Maia-Caniço, parce qu’elle n’a fait «aucune déclaration tapageuse» au cours des cinq années d’instruction, et qu’elle a «toujours fait confiance à la justice». La dignité est en tout cas là quand les proches reçoivent les premiers mots du prévenu. Dans son costume bleu, le commissaire de police Grégoire Chassaing les regarde : «Je tenais à présenter toutes mes condoléances et ma compassion.» Les avocats des parties civiles lui rappellent qu’il doit s’adresser au tribunal. Le commissaire pivote, poursuit : «Je ne peux imaginer un seul instant ce que vous ressentez.»

La famille du défunt aura tout de même tenté de lui expliquer. Après la mère, le frère et la sœur de Steve Maia-Caniço passent à leur tour à la barre. Brèves prises de paroles et longs silences humides disent peu et à la fois tout de leur aîné disparu. Elle, 21 ans au moment des faits : «Il manque vraiment beaucoup de gens comme lui dans le monde.» Lui, 21 ans aujourd’hui, se raconte depuis le deuil : «J’ai du mal à montrer mes émotions avec ma famille. Je me suis enfermé. Je ne suis plus le même, en fait.» Le père ému ne souhaitant pas témoigner, vient enfin l’oncle et parrain de Steve Maia-Caniço. Dans son dos, son index et son pouce semblent se battre. Il observe : «Perdre un enfant c’est terrible… Mais quand on a le sentiment que c’est évitable, c’est encore pire.» Et de conclure : «Ici, le caractère évitable paraît criant.»