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Libération
Stop ou encore

Claude Guéant presque libéré, non sans peines

La justice devrait se prononcer ce lundi sur la demande d’aménagement de peine de l’ancien ministre de l’Intérieur de Sarkozy, en prison depuis deux mois.
L’ex-secrétaire général de l’Elysée, à Paris en 2011. (Laurent Troude /Libération)
publié le 6 février 2022 à 21h46

Claude Guéant restera-t-il ou pas en prison ? Incarcéré depuis la mi-décembre, le cardinal déchu de la sarkozie sera fixé ce lundi sur son sort. Un juge d’application des peines (JAP) devra dire stop ou encore sur sa condamnation en 2017 à deux ans de prison, dont un ferme, pour détournements de fonds publics dans l’affaire des primes en liquide du ministère de l’Intérieur.

Pour la petite histoire, sa première question aux matons de la Santé, quartier VIP, aura été : «Et pour le ménage, cela se passe comment ?» Ce couteau suisse de Nicolas Sarkozy, qui fut son directeur de cabinet place Beauvau, son secrétaire général à l’Elysée puis son ministre de l’Intérieur, n’avait a priori pas le profil pour finir au ballon. Ce genre de haut personnage cumulant les casseroles politico-juridico-financières aurait plutôt vocation à se faire condamner à des peines symboliques, essentiellement de la prison avec sursis, la partie ferme (inférieure à douze mois) étant aisément aménageable.

Carnet d’adresses

Lors de son incarcération le 13 décembre, Claude Guéant n’avait versé que 36 % des 200 000 euros qu’il doit au trésor public en vertu de sa condamnation pour détournements de fonds publics − entre amende, dommages et intérêts et frais de procédure. La justice française lui avait pourtant donné du temps, sans lui mettre le couteau sous la gorge, depuis la confirmation en appel de sa condamnation en janvier 2017, soit près de cinq ans. «La dette n’est que partiellement réglée par le biais de saisies sur sa pension de retraite et ne résulte nullement de versements de sa part», s’était déjà énervé le juge d’application des peines en août 2021.

Sa demande de révocation du contrôle judiciaire a été confirmée en novembre 2021 par la cour d’appel : «Claude Guéant a fait le choix d’un règlement unique à une date indéterminée [choisie par lui, ndlr], alors qu’il en avait parfaitement les moyens car disposant de revenus complémentaires.» Soudain, miracle, le 15 décembre, deux jours après l’incarcération de Claude Guéant : son avocat, Philippe Bouchez El Ghozi, se présente avec un chèque de 150 000 euros, après avoir mobilisé ce qui reste de son carnet d’adresses, pour solde de tout compte. Trop tard : que ne l’avait-il fait plus tôt ? «Des personnes qui comptent ont fait savoir qu’ils le soutenaient dans cette histoire», commentera sobrement l’avocat dans le Figaro, sans plus de précision.

Concrètement, le fisc ponctionne régulièrement une partie de sa pension de retraite de la fonction publique, 3 000 euros par mois. Insuffisant, sauf à éteindre sa dette judiciaire sur un demi-siècle − alors que l’impétrant est âgé de 77 ans. Pour la solder, il ne peut mettre en vente son appartement parisien dans les beaux quartiers, saisi pénalement et à titre conservatoire dans le dossier libyen − acheté grâce à la confortable revente de deux petits et antiques tableaux flamands, la justice française suspectant une surfacturation de complaisance. Il lui reste cependant une résidence secondaire de 380 mètres carrés, quoique située en Maine-et-Loire, mais toujours pas mise en vente à ce jour.

Bras d’honneur au Trésor public

Signe des temps, les JAP paraissent actuellement rechigner à aménager les peines des anciens dignitaires politiques. Le sursis d’un Patrick Balkany vient ainsi d’être révoqué pour non-respect de son contrôle judiciaire : placé sous bracelet électronique, avec obligation de résidence en son moulin de Giverny, le bracelet en question aurait émis quelques bips en sa bonne ville de Levallois-Perret… Concernant Claude Guéant, le JAP aura missionné pas moins que l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (Oclciff), en vue de se faire une idée sur ce particulier et singulier justiciable.

Il n’a pas été déçu du résultat. Pour l’anecdote, les flics ont pointé «des dépenses de plusieurs milliers d’euros dans des hôtels, théâtres et restaurants en 2020, période pourtant marquée par des fermetures de ce type d’établissement» pour cause de Covid. «Claude Guéant a le droit, de temps en temps, d’avoir une activité culturelle», a déjà eu l’occasion de rétorquer son avocat, Philippe Bouchez El Ghozi − il n’a pas répondu aux sollicitations de Libération.

Plus sérieusement, les enquêteurs ont aussi relevé la perception, en 2019, de 29 500 euros en provenance de son assurance vie souscrite auprès de la compagnie Cardif. Et rétrocédée illico, non pas au Trésor public, mais à son fils François, au nom d’une présumée «obligation alimentaire» en famille. Guéant Junior a pourtant passé la barre des 45 ans (1). La cour d’appel de Paris, validant l’automne dernier le principe de son incarcération, a peu apprécié l’épisode, évoquant des «revenus supplémentaires et substantiels, utilisés à des fins familiales ou personnelles sans aucune nécessité impérative au profit de ses enfants». Tel un bras d’honneur au Trésor public. Pour l’anecdote, l’Oclciff avait également pointé la rémunération de deux employés de maison, que Claude Guéant tentera de justifier par les soins prodigués à domicile à son épouse malade, pourtant décédée en 2008.

Plus généralement, les divers magistrats en charge de son application de peine estiment avoir été menés en bateau sur ses promesses d’emploi auprès d’ONG qui, sous prétexte d’agir sur la famine ou la pénurie d’eau en Afrique, cherchent surtout monnayer le carnet d’adresses d’anciens dignitaires. Avec un zéro pointé à ce jour concernant Claude Guéant.

Deuxième couche

Sur l’antique affaire des primes en liquide, la remise en liberté de Claude Guéant ne fait guère de doute, pour avoir enfin régularisé sa situation financière − fût-ce à retardement et du fond de sa cellule à la Santé. Pour mémoire, on rappellera toutefois sa profession de foi lorsqu’il était directeur général de la police nationale (DGPN) au milieu des années 90, sous le règne de Charles Pasqua place Beauvau : les fonds secrets du ministère de l’Intérieur ne sauraient «en aucun cas être considérés comme permettant d’alimenter un régime indemnitaire» des hauts dignitaires policiers. Ce qui ne l’empêchera pas, une décennie plus tard, d’empocher à ce titre 110 000 euros (5 000 euros par mois, en grosses coupures). Avant de plaider benoîtement à la barre : «On a beau avoir joie, honneur et fierté à intégrer un cabinet ministériel, la charge de travail et les responsabilités sont considérables.» Bref, se servir au lieu de servir… Les enquêteurs relèveront alors que ce présumé grand serviteur de l’Etat n’aura retiré que 800 euros en liquide de ses comptes bancaires entre 2003 et 2012 − tout juste sept euros par mois.

A propos de sa condamnation, en janvier, à un an de prison dont huit mois ferme pour favoritisme dans l’affaire des sondages de l’Elysée, le procureur devrait lui signifier dans les semaines qui viennent une incarcération de principe, à la suite du mandat de dépôt différé prononcé par le tribunal au motif qu’il aurait «persisté dans un comportement délinquant» et surtout «démontré sa capacité à méconnaître l’autorité des décisions de justice». Mais elle ne sera pas exécutoire dans l’immédiat dans la mesure où il a fait appel sur le fond. Et les ennuis sont loin d’être terminés pour Guéant. Une troisième affaire lui pend au nez, en marge du dossier libyen : l’achat de son appartement dans les beaux quartiers aux bons soins d’intermédiaires franco-arabes. Dont le volet vient d’être disjoint du reste et qui lui vaudra un autre procès particulier.

(1) Il y a aussi la perception en 2020 de 39 000 euros perçus du Comptoir national de l’or, et aussitôt reversés à son gendre, Jean-Claude Charki, au nom de l’apurement d’une dette ancienne. mais là encore au détriment du Trésor public.