On les avait trouvés pudiques, lors de leur passage à la barre. Feutrés dans l’expression du deuil, comme si leur douleur ne pouvait se dire que dans le silence. Pas de corps, pas de réponses, pas de mots. Pour les proches de Delphine Aussaguel, son nom de naissance, le verdict de ce vendredi 17 octobre a fait sauter le couvercle d’une boîte scellée depuis cinq ans, où la souffrance s’était patiemment tassée. Cédric Jubillar, le mari de leur sœur, de leur nièce, de leur amie, a été reconnu coupable de «meurtre sur conjoint» et condamné à trente ans de réclusion criminelle par la cour d’assises du Tarn, réunie à Albi. Une cousine fond en larmes. Deux autres se tombent dans les bras. Un oncle perd connaissance. Il faut de l’air. La salle est évacuée.
Dans sa cage de verre, où il était jugé depuis quatre semaines, le peintre plaquiste de 38 ans n’a pas cillé. Mains serrées sur l’ouverture vitrée du box, il a fixé la présidente, impassible. «Je n’ai absolument rien fait à Delphine», avait-il assuré le matin, de ce ton plat tantôt jugé détaché, tantôt sincère. Au milieu d’une forêt électrique de perches, de caméras et de micros à la sortie du verdict, ses avocats le disent «abattu» mais pas à terre. «Il a aussi cette lueur et se dit que tout n’est pas définitif», assure Me Emmanuelle Franck. A ses côtés, son confrère Me Alexandre Martin renchérit : «Nous sommes déçus mais nous savions qu’il y aurait un deuxième combat.» Ils feront appel. Un nouveau procès devrait se tenir en 2026, probablement devant la cour d’appel de Toulouse.
«On ne condamne pas les sales types»
Ces dernières heures, pourtant, les doutes s’étaient accumulés. A l’issue de sa plaidoirie, Me Emmanuelle Franck avait la veille ébranlé les certitudes : «Vous êtes les derniers remparts de ce cirque judiciaire», avait-elle lancé aux jurés. En savait-on suffisamment pour déclarer cet homme coupable du meurtre de sa femme, disparue dans la nuit du 15 au 16 décembre 2020 et jamais retrouvée ? A cet instant plus que jamais, dans cette affaire sans scène de crime ni preuve irréfutable, le verdict semblait indécis.
Pendant plus de trois heures, l’avocate avait méticuleusement démonté un à un les éléments du «faisceau d’indices concordants» brandi par l’accusation, jugeant l’enquête biaisée. Une paire de lunettes brisée, un véhicule au sens de stationnement changé, des cris entendus par des voisines… Quant à la personnalité trouble de l’accusé – décrit comme un père «violent», un mari «rabaissant», un personnage «grossier», «accro à la drogue et aux jeux vidéo» –, l’avocate avait coupé court : «On ne condamne pas les sales types, on condamne les coupables.»
Des «mots simples» pour les enfants
Pour trancher, les six jurés et trois magistrats n’ont pu s’appuyer que sur une seule béquille : leur intime conviction. Sept voix sur neuf étaient nécessaires pour condamner le peintre plaquiste. Si trois d’entre eux avaient voté «non» ou blanc, Cédric Jubillar aurait été acquitté. Finalement, les délibérations auront duré un peu plus de cinq heures, et abouti à une peine conforme aux réquisitions. Mercredi, les avocats généraux, Pierre Aurignac et Nicolas Ruff, avaient avancé l’hypothèse d’un «pétage de plombs» de l’accusé qui, le soir de la disparition, aurait découvert que sa femme le trompait. Le couple, alors, était en instance de divorce. Après une démonstration ardue, Pierre Aurignac avait calculé que «pour défendre l’idée de l’innocence de Cédric Jubillar, il [fallait] écarter quatre experts, faire taire 19 témoins et tuer le chien pisteur».
«Justice rendue», «satisfaction», «peine la plus appropriée»… Sur la dalle du palais de justice d’Albi, les avocats des parties civiles ont partagé leur soulagement. «Aujourd’hui, c’est la vérité qui a gagné sur le mensonge. Ça fait quatre ans que l’on s’égosille à dire que ce dossier n’est pas vide, qu’il y a des preuves, une scène de crime et donc un crime», s’est réjoui Me Mourad Battikh, avocat d’une partie de la famille de Delphine Aussaguel. Pour Malika Chmani, qui représente les deux enfants des Jubillar, aujourd’hui âgés de 6 et 11 ans, il reste toutefois une tâche difficile à accomplir : leur dire avec des «mots simples» qu’«il y a des juges et des jurés qui ont estimé qu’ils avaient assez d’éléments pour dire que papa était coupable du meurtre de maman».
Visage souriant
En entrant dans son box vendredi, Cédric Jubillar a balayé le public du regard. Le trentenaire semblait fouiller la mêlée en quête de visages connus. Celui de son «admiratrice», peut-être, mentionnée quelques jours plus tôt par un avocat général ? Ou ceux devenus familiers d’étrangers, mordus de l’affaire ? Puis, quelques secondes, ses yeux sombres ont accroché les bancs, remplis, des parties civiles.
Pour le verdict, tous ou presque étaient là. Cet oncle touchant de Delphine, costume mal ajusté, qui à la barre avait confessé sa «culpabilité» de ne pas l’avoir «protégée». Cette sœur, gênée au pupitre, qui aujourd’hui élève sa nièce et son neveu comme ses propres enfants. Cette cousine qui regrettait que l’infirmière ne l’ait pas vue en robe de mariée. Dans cette affaire sans corps et sans réponse, certains ont tenté de ramener «Delph» avec eux dans la salle d’audience, en suspendant son portrait à leur cou. A l’annonce du verdict, ils se sont enlacés ; son visage souriant les unissait.