«Quelle déception !» Le verdict à l’encontre de Joël Le Scouarnec, condamné ce mercredi 28 mai à Vannes à la peine maximale prévue par la loi de 20 ans de réclusion, dont deux tiers de période de sûreté, pour viols et agressions sexuelles sur 299 victimes, a été accueilli dans les larmes et la colère.
Certes, la cour criminelle du Morbihan a suivi les réquisitions de l’avocat général sur la durée de réclusion. Mais l’ex-chirurgien de 74 ans échappe à la rétention de sûreté, peine complémentaire demandée par le parquet, permettant de placer dans un centre médico-social un criminel présentant un risque élevé de récidive à sa sortie de prison. Manon Lemoine, violée à l’âge de 11 ans par l’ancien médecin, sait que cette mesure, rare et controversée, n’est prévue «que pour un caractère exceptionnel». «Mais cette affaire ne l’est-elle pas assez ? 299 (victimes, ndlr) ! La loi contre les violences sexuelles en France n’a pas été pensée en bon sens», a-t-elle tonné.
«L’intention du législateur»
Les magistrats ont estimé que Joël Le Scouarnec avait «tenu à assumer ses actes», au cours de l’audience, a expliqué la présidente, Aude Burési, à l’énoncé du verdict. «Ce qui, indépendamment du côté utilitaire de cette démarche […] atteste de sa volonté de réparer les conséquences de ses actes.» La Cour a par ailleurs pris en compte l’âge qu’il aurait «à l’issue de l’exécution de sa peine de 20 années de réclusion criminelle assortie d’une période de sûreté des deux tiers».
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«Si le risque de récidive existe chez Joël Le Scouarnec et a été pris en compte dans le prononcé de l’ensemble des peines, à lui seul, cet élément ne suffit pas à justifier le prononcé du principe d’une rétention de sûreté qui doit conserver un caractère exceptionnel», complète la juge. Et de conclure : «Pour ne pas prononcer de rétention de sûreté, la Cour a donc tenu compte […] de l’intention du législateur qui a estimé que les infractions en matière sexuelle à l’égard d’une pluralité de victimes même mineures ne pouvaient pas être punies au-delà de 20 années de réclusion criminelle.»
«Dans la salle, c’est la stupeur qui a accueilli ce verdict», affirme Solène Podevin-Favre, codirectrice de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise).
«Evidemment que nous sommes déçus»
Amélie Lévêque, victime de Joël Le Scouarnec, dit à quel point elle se sent «humiliée par ce verdict.» «On est 300 victimes. Pourquoi ne pas aller jusqu’au bout, prononcer la rétention de sûreté ? Il en faut combien des victimes, mille ?», dénonce la quadragénaire. Et d’interroger : «Comment penser que ses excuses n’étaient pas juste une stratégie de défense ?»
«Evidemment que nous sommes déçus», a réagi Me Myriam Guedj Benayoun, avocate de parties civiles, à propos de l’absence de rétention de sûreté. Pour elle, les conditions étaient remplies, «de par la durée des agissements de Joël Le Scouarnec, plus de trente ans, de par la nature des crimes qu’il a commis et de par l’avis unanime des experts psychiatres et psychologues qui disent tous que le risque de récidive est extrêmement important».
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Pour l’avocat de l’association l’Enfant Bleu, Me Christophe Boyer, le cas de Joël Le Scouarnec relève de «l’impensé du politique», reprenant une expression utilisée par la présidente de la cour. «On ne pouvait pas demander à la cour d’aller au-delà de ce que permet la loi, 20 ans c’est 20 ans, et la rétention de sûreté, ce n’est pas fait pour ce genre de situation», a-t-il poursuivi, avant de conclure : «Ce n’est pas un pansement sur une jambe de bois [pour] compenser le fait que le maximum est atteint avec 20 ans.»
Me Cécile de Oliveira, autre avocate des parties civiles, a jugé ce verdict «adapté d’une façon très fine à la situation psychiatrique de Joël Le Scouarnec», qualifiant de «pertinente» la décision de la cour criminelle d’«écarter la rétention de sûreté, qui doit rester une peine totalement exceptionnelle». «Tout cela apparaît complet, cohérent, précis et extrêmement adapté», a-t-elle affirmé
Par voie de communiqué, la Ciivise a de son côté sobrement déclaré «prendre acte» de la décision de la cour criminelle, tout en soulignant, «que le procès a été une épreuve considérable pour les victimes et leurs proches, reconnues ou non par la justice.»
Une lettre à Emmanuel Macron
Avant même le verdict, Cécile Mahuteau, autre victime de Joël le Scouarnec, avait adressé mercredi matin une lettre au président de la République, Emmanuel Macron, publiée par Ici. Dans la missive, elle regrette qu’«aucune politique nationale de prévention de la pédophilie ne soit sérieusement mise en place». «Rien, strictement rien d’effectif [n’est fait] pour lutter efficacement contre les récidives des pédocriminels.» Critiquant la prescription, actuellement fixée à 30 ans en matière de crime sexuel sur un mineur, elle s’adresse directement à Emmanuel Macron : «C’est moi, Cécile, la petite fille qui vous offre des mots d’adulte pour comprendre l’urgence à agir. Vous avez des moyens si faciles à portée de main. Vous avez des moyens si faciles à portée de main. N’oubliez jamais, vous aussi vous avez été cet enfant.»