C’est la deuxième fois que la Cour de cassation se prononce sur des affaires de décrocheurs de portraits d’Emmanuel Macron. Et complète ainsi un peu plus la jurisprudence en matière de désobéissance civile. La plus haute juridiction du pays a rejeté ce mercredi les pourvois de douze militants écologistes, condamnés en appel à des peines de 200 à 500 euros d’amende, certaines avec sursis, notamment pour «vol en réunion» après avoir dérobé en 2019 les cadres symboliques dans des mairies de Paris, Valence, et Strasbourg.
Ils souhaitaient ainsi protester contre l’inaction du gouvernement face au réchauffement climatique. Estimant que ces condamnations étaient une atteinte à leur liberté d’expression, ils se sont pourvus en Cassation. Cécile Marchand, une des porte-parole du mouvement Action non violente COP21 (ANV-COP21), qui a mené les décrochages, voit en la confirmation de leur condamnation «un manque de courage» de la Cour de cassation. Selon elle, cela traduit aussi une nouvelle fois «l’incompréhension de la justice pour la forme et le fond» de leur geste.
«Contrôle de proportionnalité»
En septembre, la Cour de cassation a cassé une décision de la cour d’appel de Bordeaux condamnant des décrocheurs. Elle estimait que les juges du fond n’avaient pas suffisamment motivé leur décision et recherché si «l’incrimination pénale des comportements poursuivis ne constituait pas […] une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression des prévenus».
1/3 Aujourd'hui, la @Courdecassation se prononcera pour la 2ème fois sur des affaires de décrocheurs de portraits présidentiels. La 1ère fois, en septembre dernier, elle avait demandé aux juges d'évaluer la potentielle atteinte à leur liberté d'expression que pouvait représenter pic.twitter.com/piha77mgSs
— Fanny Delahalle (@fdelahalle) May 18, 2022
Dans ce cas précis, «la cour d’appel a refusé formellement de faire un contrôle de proportionnalité», précise un de leurs avocats, Me Ronald Maman. C’est-à-dire qu’elle n’a pas voulu contrôler si l’atteinte portée à la liberté d’expression – un droit fondamental – par sa décision était disproportionnée, au motif qu’une «infraction de vol ne peut jamais être justifiée par la liberté d’expression».
Cette fois, c’est différent. Les cours d’appel de Paris, Valence et Strasbourg «ont motivé leurs décisions, ont effectué un contrôle de proportionnalité. Elles ont estimé que malgré le contexte politique, les enjeux écologiques, il n’était pas légitime de s’emparer d’un portrait présidentiel», poursuit Me Ronald Maman. L’arrêt rendu ce mercredi par la Cour de cassation est selon lui «un deuxième stade de raisonnement». «Elle a confirmé que par principe, la commission d’un vol pouvait être justifiée par la liberté d’expression, tout en donnant des critères pour déterminer quels peuvent être les cas concernés.» Ainsi, la Cour de cassation estime que les juges doivent prendre en compte deux éléments : «la valeur matérielle du bien» dérobé, mais aussi «sa valeur symbolique», «la réversibilité ou l’irréversibilité du dommage».
Critères fixés
Elle souligne également que les faits ont été commis «en réunion». Ainsi, selon elle, puisque le portrait présidentiel possède une valeur symbolique importante, qu’il n’a pas été restitué, que les vols ont été commis par plusieurs personnes, et que ces critères ont été pris en compte par les cours d’appel, il n’a pas lieu de casser leurs jugements. De plus, elle considère que les sanctions prononcées par les cours d’appel «sont adaptées et proportionnées» aux faits commis.
En février, les deux avocats des militants écologistes avaient appelé la Cour de cassation à «fixer des critères à destination des juges du fond», afin que «le droit soit le même sur tout le territoire de la République» pour les «décrocheurs» : «Qu’est-ce qui explique qu’à Amiens on relaxe et que l’on condamne à Paris ?» interrogeait alors Me Paul Mathonnet, avocat des militants. Mais évidemment, les critères fixés par l’arrêt de ce mercredi «ne vont pas dans le sens que nous défendions», regrette Me Ronald Maman. Pour autant, «il ne s’agit pas d’un retour en arrière, puisque la Cour de cassation avance dans sa jurisprudence en fixant un cadre», souligne-t-il. «Simplement, ce n’est pas du tout l’appréciation que nous aurions souhaitée.»