«C’est un raton, achève-le» : par cette manchette du 3 mars 1975, la violence et le racisme policiers entrent, pleins phares, dans l’histoire de Libération. Les mots sont ceux d’un fonctionnaire de l’antigang à un collègue : ils viennent de tuer par balles plusieurs hommes réputés criminels dans le café parisien Le Thélème, puis tabassent deux avocats algériens clients du même établissement. Dans les pages intérieures, Libé attaque : «La violence policière, inutile et dangereuse, semblait avoir l’approbation d’une partie de la presse qui applaudissait aux [précédentes] interventions de l’antigang. Cet accident ouvrira peut-être les yeux des journalistes lèche-bottes qui se font les porte-parole disciplinés [du ministre de l’Intérieur] M. Poniatowski et d’une certaine opinion publique.»
Le pouvoir pompidolien, l’administration policière, la presse et l’opinion de droite : tous complices, selon cet article aux airs d’éditorial. Il donne le ton d’un Libé débutant qui teinte de politique les défaillances des institutions sécuritaires. La responsabilité individuelle des policiers et des gendarmes accusés de violences, notamment mortelles, n’est pas pour autant éludée. Au contraire : leur identité figure in extenso dans les pages. Les patronymes des fonctionnaires donnent même parfois leur nom aux affaires, et le journal va jusqu’à publier leurs photos. Le contraste est saisissant avec notre époque, où l’exécutif tente d’interdire la diffusion d’i