Le guide du détenu arrivant – document édité par le ministère de la Justice – stipule, dès les premières lignes : lors d’une incarcération «vous recevez un numéro d’écrou, afin que l’on ne vous confonde pas avec une autre personne qui porterait le même nom que vous». Le 30 avril, il y a pourtant eu méprise entre deux détenus du centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan (Gironde).
Un homme de 25 ans, condamné en novembre à dix ans de prison pour coups mortels, a été «indûment libéré […] en lieu et place d’un individu dont le nom était très proche», a indiqué le procureur de la République de Bordeaux, Renaud Gaudeul, dans un communiqué. Un mandat de recherche et un mandat d’arrêt européen ont été émis pour le retrouver, mais le jeune fugitif courait toujours mardi 6 avril − contacté ce mercredi, le paquet de Bordeaux n’a pour l’heure pas donné suite. Une semaine après son évasion, Libé fait le point sur cette insolite levée d’écrou.
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A leur arrivée en prison, l’identité et le document justifiant l’incarcération de chaque détenu sont enregistrés au greffe, indique le guide du ministère. De la même manière, «on prend vos empreintes et on fait une photo de vous pour la biométrie». Ces éléments permettent de vérifier l’identité de la personne détenue à tout moment : lors des accès aux parloirs ou des déplacements à l’intérieur des bâtiments de détention, lors de la sortie de l’établissement en cas d’extraction ou de levée d’écrou. Ce système de vérification d’identité interne à la prison «offre ainsi une sécurité accrue dans les établissements», assure le document. Force est de constater qu’il n’a pas fonctionné fin avril à Bordeaux-Gradignan.
Selon Sud Ouest, l’homme libéré n’a d’ailleurs pas grand-chose en commun avec son codétenu : «Ils n’ont ni la même morphologie, ni le même prénom», ni la même nationalité. Seule une lettre diffère dans leurs noms de famille, qui peuvent se prononcer de la même manière. Une enquête judiciaire, confiée à la Division de la criminalité organisée et spécialisée (DCOS), et une autre, administrative, ont été ouvertes pour déterminer les circonstances de cette libération accidentelle et retrouver le détenu fugueur.
«Ce genre d’erreur peut se reproduire demain»
Auprès de Libération, Ronan Roudaut, délégué syndical Ufap-Unsa au centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan, évoque, sans vouloir tirer de «conclusion hâtive», une «erreur humaine regrettable et incompréhensible» : «Si ça avait été fait correctement, il n’y aurait pas eu ce couac.» L‘enquête administrative devrait permettre de déterminer à quel niveau de la procédure de libération l’erreur est intervenue : «Il y a la personne qui programme la libération, la personne qui signe le document…» détaille le délégué syndical. L’administration pénitentiaire, de son côté, indique ne pas faire de commentaire avant les conclusions de l’enquête administrative.
Selon Ronan Roudaut, «le responsable du greffe avait tiré la sonnette d’alarme il y a un an sur le manque d’effectifs». Il relève des moyens globalement sous dimensionnés pour cette prison ; également pour les agents en charge de la détention. Avec 1 120 à 1 130 détenus pour 633 places à Gradignan, «on est tout le temps pris par le temps, on baisse la garde et on le paie», résume-t-il.
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D’après lui, des membres de la pénitentiaire en charge de la détention sont régulièrement amenés à effectuer des tâches administratives, comme au greffe. «Ce genre d’erreur peut se reproduire demain, on n’a plus le temps de faire ces procédures de contrôle», affirme le syndicaliste.
Certains agents ne seraient par ailleurs pas assez formés et manqueraient d’expérience : «Ils n’ont pas le recul nécessaire sur l’importance du greffe. Derrière, au niveau pénal, il peut y avoir des conséquences lourdes. Mais ça ne veut pas dire qu’il y a une négligence consciente.» Dernier écueil au bon fonctionnement du centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan, selon Ronan Roudaut : le manque d’attractivité du métier. «On n’arrive pas à recruter, c’est comme si on mettait un pâtissier en mécanique auto.»
Au 1er avril en France, on comptait 82 921 détenus pour 62 358 places de prison opérationnelles, selon les chiffres du ministère de la Justice. La densité carcérale globale était ainsi de 133 %.