C’est comme si leurs noms étaient restés coincés sous les décombres. Qu’on les avait oubliés là, sous les gravats et les plaques de métal, au pied de cet immeuble de la cité de la Source, à Epinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis). Depuis lundi et jusqu’à vendredi, la 15e chambre du tribunal correctionnel de Bobigny examine les conditions dans lesquelles deux ouvriers sans papiers ont trouvé la mort, le 8 juin 2019, après une chute de 18 étages. Omar Azzouz et Kamel Benstaali, 29 et 34 ans, n’étaient pas formés, pas équipés, pas déclarés. Chargés de mener des travaux de rénovation thermique, ils ont grimpé ce matin-là sur une nacelle qui s’est ensuite détachée. L’expertise a révélé un «défaut d’ancrage».
Dans ce dossier, sept hommes et trois entreprises de BTP sont renvoyés notamment pour homicide involontaire, mise à disposition d’équipement de travail sans vérification de sa conformité et travail dissimulé. A la barre, ils ont longuement parlé de la nature des boulons, de contrats signés, de formation dispensée ou non. Rarement, ils ont évoqué les deux hommes décédés, émis une pensée pour eux ou pour leurs familles, les condamnant à rester à tout jamais ce qu’ils étaient déjà au moment de leur mort : des invisibles dont personne ne se soucie.
Absence de formation
Hafid B., 62 ans, est le premier à s’avancer devant le tribunal. L’homme trapu, polo gris sur larges épaules, s’agrippe à la barre métallique bleue et prend la parole tout bas, poussant plusieurs fois la présidente, Elisabeth Dugre,