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Mal logement

Effondrements de la rue d’Aubagne : «Ce sont nous, les habitants, qui donnons au procès une dimension politique»

Effondrements de la rue d'Aubagne à Marseilledossier
Crieurs publics, marche citoyenne, «assemblées populaires»… Depuis l’ouverture du procès, qui prend fin ce mercredi 18 décembre, les acteurs associatifs, menés par le Collectif du 5 novembre, multiplient les initiatives pour faire exister les débats judiciaires au-delà des murs du tribunal et visibiliser la question du mal-logement.
Depuis le début du procès, le Collectif du 5 novembre se fait le porte-voix populaire de l'avancement des débats dans différents lieux de la ville. Ici, des crieurs sur la place Jean-Jaurès, à Marseille le 13 décembre 2024. (Patrick Gherdoussi/Divergence pour Libération)
par Stéphanie Harounyan, correspondante à Marseille
publié le 18 décembre 2024 à 15h57

Un ampli sous un parapluie, posé sur un banc de la Plaine, la plus grande place du centre-ville de Marseille. Le ciel gris a un peu dégarni l’esplanade, mais le petit marché paysan voisin draine tout de même du monde en cette fin de journée. Certains curieux, poireaux dépassant du sac, ont repéré les mégaphones qu’une petite troupe s’affaire à connecter. Et pour ceux qui n’auraient rien vu, Marien Guillé fait le reste : «Approchez, approchez, c’est le procès !» crie le comédien, bonnet enfoncé jusqu’aux oreilles. Derrière lui, un duo se partage des feuilles noircies de textes, au son de l’harmonica dégainé par un troisième. «Le procès de la rue d’Aubagne, épisode cinq, c’est maintenant !» annonce enfin Marien.

Depuis l’ouverture du procès le 7 novembre 2024, ils sont une vingtaine à se relayer ainsi trois fois par semaine dans plusieurs lieux publics marseillais pour «crier» le résumé des audiences. L’initiative est née au sein du Collectif du 5 novembre, formé les jours suivant la catastrophe qui a fait huit morts ce jour de 2018 et engendré une vague d’évacuations dans la ville. C’est Laurent, l’un des bénévoles historiques du collectif, qui a eu l’idée d’associer Guillaume Derieux et Marien Guillé, tous deux comédiens crieurs et résidants du quartier Noailles, pour faire exister le procès qui prend fin cette semaine au-delà des murs du tribunal. Autour d’eux, ils constituent une équipe d’une vingtaine de «crieureuses» pour déclamer, à raison d’une par semaine, des synthèses écrites à partir d’articles de presse et de verbatims recueillis à l’audience.

«Faites entrer les avocats»

Chaque épisode d’un quart d’heure s’articule sur le mode «faites entrer» la thématique de la semaine : «Faites entrer les fissures» quand le tribunal s’intéresse aux expertises techniques, «faites entrer l’administration» quand c’est la gestion municipale qui est abordée… Pour l’épisode cinq crié ce jour-là – «faites entrer les avocats» –, les porteurs de mégaphones récitent d’abord la liste des réquisitions tombées la veille. S’ensuit un récit qui tricote habilement les faits évoqués durant la semaine de débats, ponctués de bouts de dialogues à la barre rejoués ou de phrases chocs scandées en boucle, comme ce «zéro euro dépensé» dans l’immeuble sur les 180 000 euros de travaux chiffrés par un bureau d’études avant les effondrements. L’ensemble colle plutôt fidèlement à la réalité des débats, avec un souci de vulgarisation des aspects juridiques. La lecture de messages de soutien aux familles de victimes conclut la séquence, applaudie par les passants.

«Il y a beaucoup de réactions, des gens qui n’ont pas le temps de s’informer, et c’est le but, pointe Marien. Par exemple, une majorité de gens ne savent pas que c’est en ce moment. Entendre quelqu’un qui crie au mégaphone a parfois plus d’impact que de lire quelque chose au milieu d’autres informations.» Très souvent aussi, en fin d’intervention, des gens sortent du public pour venir confier leur propre situation de mal-logement. Les crieureuses les orientent vers d’autres bénévoles du collectif ou les invitent à participer à l’un des nombreux rendez-vous programmés.

Grande marche citoyenne avant le procès, collecte de messages de soutien aux familles de victimes, affichage massif jusque sur les grilles du tribunal pour «recréer l’omniprésence de la question du mal-logement dans la ville», tribunes publiées dans les médias – la dernière en date, publiée sur Mediapart le 11 décembre et signée par plusieurs collectifs et associations, demande l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire sur l’habitat indigne –, «assemblées populaires» où un avocat des parties civiles et des journalistes répondent aux questions du public… Depuis un mois et demi, une vague d’initiatives accompagne le procès grâce à la mobilisation générale sonnée par le Collectif du 5 novembre.

Un temps de visibilité qui complète le travail de fond mené sans relâche par plusieurs acteurs de terrain à Marseille. Jeudi 12 décembre, dans son réquisitoire, le procureur de la République, Nicolas Bessone, avait tenu à les remercier «solennellement» pour leurs actions «complémentaires» de celles menées par ses services. «Le procès remet une focale sur l’habitat indigne et sa dimension systémique, cette chaîne de responsabilités qui est au cœur des débats, relève Kevin Vacher, sociologue et membre du collectif. C’est un angle qui permet de faire acte de pédagogie, montrer comment fonctionne l’habitat indigne. Cela permet aussi d’en tirer des bilans, pour savoir ce que l’on fait demain sur ce sujet. Il n’appartient pas aux juges de donner une dimension politique à ce procès, c’est nous, les habitants, qui la donnons. D’où l’importance de se mobiliser.»

Ruban vert du collectif à la boutonnière

Matthieu a rejoint le Collectif en vue du procès, «d’abord pour aider sur les questions techniques». L’assistant-réalisateur de métier a finalement rejoint l’équipe de 70 «greffiers populaires» qui, chaque jour, se relaient dans la salle d’audience pour retranscrire les débats. Des groupes de cinq personnes, ruban vert du collectif à la boutonnière, reproduisent mot à mot, dans un document partagé numériquement, les verbatims du procès. Chacun peut aussi y glisser des commentaires plus personnels. Avant ce procès, qu’il suit sur place «presque un jour sur deux», Matthieu était novice en matière judiciaire : «J’ai notamment appris l’importance symbolique que la parole soit dite pour les gens qui ont vécu cette tragédie.»

Ce mercredi, pour le dernier jour du procès, le Collectif du 5 novembre appelle une ultime fois les Marseillais à venir en masse assister aux audiences, pour soutenir les parties civiles. Le lendemain, les crieureuses fileront une dernière fois l’ensemble des épisodes écrits pour le procès sur la place du 5-Novembre, tout près du vide laissé par les immeubles effondrés. Ils crieront tout près du transformateur électrique où sont collés depuis un mois des dizaines de messages aux familles endeuillées par la catastrophe. Sur chacun d’entre eux, Liliana Lalonde, la mère de Julien, l’une des huit victimes, a ajouté un «merci» au stylo.