En à peine plus d’une semaine, les émeutes du début de l’été 2023 ont largement «excédé, en violence et en destruction d’équipements publics ou commerciaux, les trois semaines de violences urbaines» de 2005. Voilà le constat dressé par une mission d’information sénatoriale dont les conclusions ont été présentées ce mercredi 10 avril face à la presse. Les neuf sénateurs qui composent la mission, issus de tous bords politiques, ont depuis la mi-juillet auditionné 80 policiers, sociologues, maires ou encore acteurs du monde associatif et culturel afin «de comprendre, d’évaluer et de réagir à ce qu’il s’est passé» du 27 juin au 5 juillet dernier, explique François-Noël Buffet, le rapporteur (LR) de cette mission.
Pour les sénateurs, ces émeutes ont eu lieu en deux temps. Il y a d’abord eu une première «phrase émotionnelle», expliquent-ils dans ce ce rapport, où la contestation a été «directement liée à la mort de Nahel Merzouk», cet adolescent de 17 ans tué par un policier à bout portant lors d’un contrôle routier le mardi 27 juin. Dans les jours suivant sa mort, les violences urbaines, concentrées dans les banlieues des grandes métropoles, «s’apparentent à l’expression intense d’une colère et sont dirigées contre les forces de sécurité intérieure ainsi que les autorités et biens publics». Puis, à compter du 30 juin, un «basculement» s’opère vers une «phase insurrectionnelle» : les émeutes ont lieu sur tout le territoire et prennent la forme de «vague de destructions et de pillages sans précédent» sur laquelle surfent des «opportunistes».
Impossible pour autant, note François-Noël Buffet, d’occulter une «vraie volonté de contester l’ordre établi, de défier l’autorité». Cette dernière viendrait notamment, selon des chercheurs en sciences politiques et sociologie interrogés par les sénateurs, «d’un sentiment de relégation sociale, tenant à un désencrage, subi ou entretenu, entre les émeutiers et le reste de la population».
Des techniques de «guérilla urbaine»
La propagation et l’intensité de la violence sont «fulgurantes». En une grosse semaine, plus d’un millier de personnes sont blessées (dont 782 membres des forces de l’ordre), deux personnes perdent la vie (à Marseille et Cayenne). Plus de 2 508 bâtiments sont incendiés ou dégradés, parmi lesquels 105 mairies, 243 écoles et 273 bâtiments des forces de l’ordre. Au moins un millier de commerces (principalement des débits de tabac ou agences bancaires) sont également pillés, «signe de l’opportunisme d’une part des émeutiers». Coût total des destructions : un gros milliard d’euros. 16 400 sinistres ont été déclarés aux assureurs pour un coût «quatre fois supérieur à celui des émeutes de 2005». Les violences ont par ailleurs concerné deux fois plus de communes réparties sur quatre fois plus de départements qu’en 2005.
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On estime qu’environ 50 000 personnes ont participé à ces émeutes, utilisant parfois des techniques de «guérilla urbaine impliquant des guet-apens et usage massif et coordonné de mortiers d’artifice». L’émeutier type, selon les sénateurs, est «un homme, de nationalité française, âgé de 23 ans en moyenne, célibataire, sans enfant, hébergé souvent par ses parents, ayant un diplôme de niveau secondaire, maximum baccalauréat, plutôt en activité». D’après les données disponibles, qui doivent être encore largement consolidées, près des deux tiers des personnes interpellées étaient des primo-délinquants. Et pour beaucoup des mineurs : ils représentaient par exemple un tiers des personnes arrêtées dans la nuit du 4 juillet.
Face à cette vague de violences, les forces de l’ordre n’étaient pas prêtes. «Aucune préparation en amont d’une réponse policière coordonnée, nationale et spécifique au contexte émeutier, n’avait été anticipée», dénonce François-Noël Buffet. Pour le rapporteur, il est donc impératif de moderniser les moyens et le schéma de maintien de l’ordre afin d’être en mesure de répondre rapidement si jamais ces événements se reproduisaient. Car «nous ne sommes pas dans un phénomène ponctuel, un fait divers. Dans ce qu’il s’est passé il y a les germes d’autres problèmes qui peuvent ressurgir», martèle l’élu LR.
Bloquer en partie les réseaux sociaux
Parmi les recommandations des sénateurs, on retrouve notamment la volonté de bloquer «certaines fonctionnalités des réseaux sociaux» lors d’émeutes. Au début de l’été, les réseaux sociaux ont joué un rôle important, permettant notamment «la coordination de rassemblements violents» grâce à la «fonction de géolocalisation proposée par certaines personnes» et à l’utilisation de «boucles de messagerie». Ils ont par ailleurs «conféré aux violences une dimension ludique» et entretenu une «concurrence» entre groupes d’émeutiers, chacun cherchant à partager des vidéos toujours plus «sensationnalistes».
Pour les élus, il faudrait permettre aux préfets, sur autorisation du ministre de l’Intérieur et dans le cadre d’un régime d’état d’urgence précipité, de bloquer par exemple les géolocalisations en direct ou les vidéos en direct sur certains réseaux sociaux. «L’idée n’est pas de mettre en place un système qui s’applique en permanence ou qui soit généralisé, mais de pouvoir donner cette possibilité dans le cas d’émeutes avec des situations particulièrement tendues», cadre François-Noël Buffet, conscient de la sensibilité du sujet.
En complément, les sénateurs proposent «de porter à trois ans d’emprisonnement la peine encourue pour la participation à un groupement en vue de la préparation de violences ou de dégradations, afin de rendre possible, dans une procédure pénale, la réquisition, aux fins d’identification et de localisation, les données de connexion». Enfin, ils préconisent de renforcer la coopération entre polices nationale et municipale, et de s’appuyer plus encore sur les élus locaux dans la gestion des émeutes.